Date de publication :

Secteur Vins, spiritueux, bières, cidres
Pays concerné
Brésil
Thématique Entreprises
Créée en 1959, la célèbre marque de mousseux du groupe Moët-Hennessy s'est développée sur tous les continents : Etats-Unis, Brésil, Australie, Chine, Inde. L'esprit pionnier anime toujours la maison dont le nom rayonne dans le monde.

Carénée pour la piste, équipée de 4 roues motrices, la 2CV Sahara a pris le bateau jusqu'à Buenos Aires avant de dévaler les plaines vers le sud de l'Argentine. Nous sommes dans les années 1950, la photo ajoute une patte sépia à l'imaginaire pionnier. Au volant du bolide immatriculé dans la Marne, Robert-Jean de Vogüé, grande figure de la Champagne de l'avant et l'après-guerre, ancien officier et résistant, président de Moët & Chandon (qui appartient désormais au groupe LVMH, propriétaire des « Echos »).

Cet esprit fulgurant a une quête : produire des bulles dans le vaste territoire sud-américain, et au-delà sur tous les terroirs inattendus que le monde peut offrir. Avec son copilote Renaud Poirier, son chef de cave, il va s'arrêter dans la province de Mendoza, au pied de l'Aconcagua, le point culminant et majestueux de la cordillère des Andes. Planter de la vigne, bâtir un cuvier et un chai : il fonde Chandon en 1959, nommé ainsi dans un habile cousinage avec la maison déjà internationalement réputée. Une longue histoire commence pour une marque qui, les décennies suivantes, va s'étendre sur l'ensemble du globe à travers six grands domaines, jusqu'aux nouvelles frontières de la Chine et de l'Inde.

Soixante plus tard, en provenance d'Argentine, est apparu en France Chandon Garden Spritz . Un apéritif prêt à déguster, une recette longuement préparée à partir d'un macérat d'écorces d'orange assemblé à un pétillant brut. Un retour par la bande aux origines, comme si un cousin éloigné et impétueux venait donner des nouvelles à la grande famille Moët-Hennessy d'aujourd'hui. « Notre oenologue Ana Paula Bartolucci l'a d'abord conçu pour le marché local où il a été lancé en 2019. Mais nous avons pensé que nous ne pouvions pas garder cette qualité de produit pour la seule Argentine alors que le spritz est devenu un phénomène mondial », suggère, dans une ellipse subtile, la présidente de Moët & Chandon, Sybille Scherer, qui a dirigé Chandon pendant 5 ans. « Le marché est exponentiel pour les boissons à base de bulles. Garden Spritz est un produit constant que le consommateur reconnaît, avec une grande facilité pour le servir », ajoute Morgane Pont-Bruyns, directrice de la culture Chandon.

En Argentine, 10 à 12 millions de bouteilles écoulées

À raison de trois millions de bouteilles vendues en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis, Garden Spritz apparaît aussi comme une 1ère approche pour étendre le label Chandon sur des territoires qui lui étaient fermés jusque-là. De manière plus confidentielle, un pétillant bio et nature, produit en France et baptisé Le Chant des cigales, a également été testé l'an dernier. Les vins effervescents connaissent au niveau mondial une croissance beaucoup plus rapide que celle du vin. Le champagne lui-même sort de 2 années exceptionnelles, en volumes, et surtout en valeur qui atteste de sa domination sans partage et de sa position à part. Ses maisons champenoises à l'abri d'un parasitage, dont d'évidence la 1ère Moët & Chandon, le groupe peut envisager d'élargir la distribution de Chandon pour batailler avec les prosecco, cava et autres pétillants de la planète. « La richesse et la qualité de nos gammes pourraient justifier que certaines cuvées soient diffusées au-delà de leurs zones d'origine », consent le président de Chandon, Arnaud de Saignes.

Chaque domaine Chandon reste d'abord fort chez lui. En Argentine, il est leader de la catégorie des mousseux premium, avec 10 à 12 millions de bouteilles écoulées selon les soubresauts de l'économie locale. « Nous sommes Argentins, nous produisons dans un style aux singularités locales, nous innovons sans hésiter à être transgressifs comme Garden Spritz en est l'expression », précise le directeur de la bodega de Mendoza, Hervé Birnie-Scott. Ingénieur agronome et oenologue, ce Français petit-fils d'Ecossais, désormais tout aussi Argentin après plus de trente années vécues sur place, est un témoin représentatif de cette communauté cosmopolite des winemakers de Chandon.

Poursuivant le travail des pionniers, il a planté sur des terres d'altitude, comme Cepas del Plata à 1.650 mètres, le vignoble le plus haut de la région, afin d'échapper aux effets de la chaleur, de juguler les besoins en eau. « Ici, les amplitudes thermiques peuvent être colossales selon les endroits. On peut passer dans la même journée du climat de l'Afrique du Nord à celui de la Champagne ! »

Au Brésil voisin, la 2e implantation de Chandon en 1973, l'eau ne manque pas avec le climat subtropical humide. Dans les paysages vallonnés et verdoyants du sud, il a d'abord fallu trouver les sols propices à la culture de la vigne. « J'ai beaucoup d'affection pour le grand frère argentin, nous avons encore un gros potentiel de développement au Brésil », explique Catherine Petit, qui mène le domaine depuis trois ans en même temps qu'elle dirige la distribution de Moët-Hennessy sur ce pays continent.

400 domaines dans la Napa Valley

La même année, une équipe a ouvert la Californie dans la Napa Valley, épicentre du vin américain. « Aujourd'hui, il y a 400 domaines mais, en 1973, il n'y en avait pas 20 », sourit Arnaud de Saignes qui y a passé 3 ans. Initié aussi par Robert-Jean de Vogüé, c'est un jalon décisif dans le déploiement de Chandon. L'expansion continue de l'immense marché des Etats-Unis s'est traduite dans la dimension spectaculaire prise par la propriété : près de 400 ha de vignes en propre, qui représentent 30 % des approvisionnements, des installations de production à la pointe, un site d'accueil remarquable qui reçoit 150 000 personnes par an et va rouvrir à l'automne totalement renouvelé : le concept de Chandon Homes a vocation à essaimer partout pour amplifier l'activité oenotouristique. Dans les jardins du domaine, Pauline Lhote n'hésite pas à interroger les visiteurs qu'elle croise pour obtenir un retour sur ses cuvées.

Venue à 23 ans comme stagiaire pour 3 mois, elle est restée, maintenant directrice de l'oenologie avec 20 permanents autour d'elle. « J'ai eu assez vite un niveau de responsabilités impensable en France, souligne cette Champenoise de 40 ans. Le spectre est large, des décisions de vendanges jusqu'à la bouteille. J'anime également la communauté des oenologues, nous nous parlons sans arrêt pour apprendre les uns des autres, même si le style des vins est d'abord propre à chaque pays. » La Californie propose 25 références, c'est une autre caractéristique du label Chandon : on ne s'interdit rien, dans le choix des variétés de raisin ou la diversité des assemblages. On n'a rien contre le classicisme non plus : l'Australie vient de lancer Etoile, un extra-brut autour des 3 cépages traditionnels qui font le champagne, sur 8 vins de réserve jusqu'au millésime 2005. Cette cuvée de prestige a un prix, l'équivalent de 75 EUR, la plus chère jamais commercialisée.

Dans la Yara Valley, près de Melbourne

La création de Chandon Australia, en 1986, avait ouvert un nouveau chapitre de la saga. Pour la première fois, ce n'est pas un Français qui explorait la destination. Non qu'ils en soient écartés, en témoigne Richard Geoffroy, longtemps chef de cave iconique de Dom Pérignon qui a fait ses classes pendant 10 ans chez Chandon. Le temps de l'autonomie était simplement venu. Un Australien même, l'influent winemaker Tony Jordan, choisit la Yarra Valley près de Melbourne et un site d'une grande beauté pour implanter un domaine qui va rayonner sur toute la zone pacifique.

Il contribuera plus tard à l'ouverture de la Chine en 2013 puis de l'Inde l'année suivante. Les 2 géants asiatiques et leur réservoir de consommateurs ne pouvaient être ignorés même s'ils sont des paris sur l'avenir. « D'une certaine manière, les deux pays se remettent dans les pas des pionniers avec l'esprit d'entreprise des débuts », relève Arnaud de Saignes. La Chine avait été prospectée dès le milieu des années 1980 mais il faudra presque 30 ans avant l'installation dans la région autonome du Ningxia, la plus vaste zone viticole du pays. Dans les contreforts de la montagne Helan, avec le désert de Gobi proche, le décor est impressionnant. Les grands froids obligent à recouvrir la vigne l'hiver. Le défi est aussi de développer le goût des Chinois pour les vins pétillants. Une version de Garden Spritz a été créée avec la collaboration des équipes argentines : la touche locale est apportée par de la mandarine séchée, un ingrédient symbolique là-bas qui facilite l'affinité des locaux au produit.

En Inde, changement radical : les pluies de mousson font un écrin bourgeonnant au site posé dans la campagne de Nashik, loin du tumulte. Un bâtiment immaculé au toit ocre dessine un arrondi au pied d'une belle colline. Le défi, là, est de trouver la bonne combinaison cépage climat. C'est le travail de Kaushal Khairnar, 32 ans, formé notamment à Montpellier SupAgro, passé par le Brésil pour comprendre les variations tropicales ! Le pinot noir a été essayé puis abandonné, le chenin s'est imposé en blanc… « Nous faisons des tastings, précise-t-il. Le marché bouge vite, spécialement dans les métropoles. Chez des jeunes consommateurs, une bascule s'opère des spiritueux vers les effervescents. Avec l'importance des célébrations dans notre culture et l'origine locale de nos vins, il y a une longue histoire à écrire ici. » Comme en Chine il y a vingt ans, le potentiel de la classe moyenne émergente fait de l'Inde un territoire incontournable même s'il est complexe. Des études spécialisées considèrent que s'y trouve durablement la plus forte croissance de consommation de vin dans le monde. Si les volumes écoulés - 300.000 bouteilles - restent très éloignés des blockbusters californien ou argentin, les capacités de production ont été calibrées pour cet avenir radieux.

« C'est notre rôle d'ouvrir des marchés, nous bâtissons pour le très long terme », a coutume de dire Arnaud de Saignes. Le futur, c'est aussi l'impact du changement climatique : Chandon sert de laboratoire à ciel ouvert avec ses 6 entités dans les deux hémisphères, confrontées à toutes les problématiques à l'instar de la Californie qui a connu une extrême sécheresse ces dernières années et des pluies diluviennes depuis cet hiver. « Le sujet est si important qu'il faut partager les solutions, poursuit le dirigeant. Les équipes de Chandon le font entre elles et avec les maisons soeurs de Moët-Hennessy pour qui la viticulture régénératrice est une priorité. » Le domaine de Mendoza s'est engagé dans la démarche Regenerative Organic Certified, la plus exigeante sur la santé des sols. Il a été précurseur dans la gestion optimisée de l'eau et met à disposition même des producteurs locaux toutes ses initiatives. Alors que les glaciers andins ont reculé de 60 % depuis 1959, le 1er  des Chandon du monde sait que le chemin se poursuit sans cesse sur la trace des pionniers de la Marne.

Six domaines sur trois continents

Chandon Argentina

Fondé en 1959 dans la région de Mendoza, la principale zone vinicole du pays, au pied de la cordillère des Andes.

383 ha de vignes plantées entre 1000 et 1650 mètres dans un climat aride et sec.

Chandon Brazil

Fondé en 1973 sur le plateau de Garibaldi, dans l'Etat du Rio Grande do Sul, le plus méridional du Brésil.

109 ha de vignes dans un climat subtropical chaud, tempéré par l'altitude en hiver.

Chandon California

Fondé en 1973 à Yountville, porte d'entrée de la Napa Valley, épicentre du vin en Californie.

390 ha plantés sur trois secteurs distincts pour une diversité de terroirs : Yountville, Carneros, Mount Veeder.

Chandon Australia

Fondé en 1986 dans la Yarra Valley, l'une des 6 grandes régions de production du pays.

169 ha plantés à Green Point, le vignoble d'origine, puis sur deux plateaux d'altitude.

Chandon China

Fondé en 2013 dans la région autonome du Ningxia, dédiée à la culture de la vigne.

78 ha plantés au pied de la montagne Helan. Climat continental extrême avec une amplitude thermique hiver-été de 55° C.

Chandon India

Fondé en 2014 dans la région de Nashik, à l'ouest du pays, la capitale du vin en Inde.

La propriété agraire par un étranger étant interdite en Inde, la production de raisins est réalisée par des partenaires viticulteurs.

Le marché des pétillants en pleine effervescence

Dans le commerce mondial des vins, c'est la catégorie qui se porte le mieux : les ventes à l'export de vins pétillants sont en hausse de 18 % en 2022, par rapport à 2021, selon les données de l'OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin). L'inflation contribue en partie à cette forte augmentation, mais les volumes progressent également de 5 % quand ils baissent pour le vin en général. La catégorie monte en gamme globalement, le champagne demeurant plus que jamais le champion de la valorisation : ses exportations ont représenté 4,2 Mds EUR à elles seules l'an dernier, un record. À l'international, l'Union des maisons de champagne a relevé un prix moyen de la bouteille à 22,20 EUR en 2022, contre seulement 5,80 EUR pour tous les types de mousseux confondus selon l'OIV.

Guillaume Rebière