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Les Emirats prennent le leadership arabe dans les domaines technologiques clés
L’année 2020 a été une année charnière pour les Emirats Arabes Unis, mais aussi de façon plus générale pour le monde arabe, puisqu’elle a été marquée par des réalisations technologiques et scientifiques majeures parmi lesquelles nous pouvons citer l’envoi de la première sonde arabe sur Mars et le lancement commercial de la première centrale nucléaire de la région.
En effet, avec la centrale de Barakah, située dans le nord-ouest du pays qui a été mise en service le 1er août dernier et dont le premier réacteur a atteint sa pleine puissance début février, les Emirats Arabes Unis signent leur entrée dans le marché de l’énergie nucléaire. A terme, lorsque les quatre réacteurs seront opérationnels, ils fourniront 25% de l’électricité de l’Etat fédéral composé de sept émirats, qui compte 9,3 millions d’habitants, dont environ 80% d’expatriés.
Une politique nucléaire qui vise à satisfaire une stratégie de mix énergétique bas carbone
Le programme d’énergie nucléaire pacifique a été lancé en 2008 avec pour ambition d’engager le pays vers une nouvelle ère énergétique moins dépendante des énergies fossiles, dans un contexte de besoins croissants d’électricité et de contraintes climatiques à honorer. Pour cause, les Emirats sont classés parmi les premiers pays émetteurs de CO2 de la planète, en raison d’un usage important de la climatisation résidentielle durant les étés caniculaires et la conduite de gros véhicules. Le programme nucléaire prévoit d'éviter le rejet de 21 millions de tonnes d'émissions de carbone, ce qui permettra aux EAU de respecter à minima leurs engagements de développement durable. Quant à leur production énergétique, elle s’appuyait jusqu'ici à 99% sur le gaz naturel et 1% sur le pétrole.
Ainsi, en 2009 a été créée l’Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC) pour développer le programme d’énergie nucléaire émirien. La même année, il y a également eu l’élaboration d'un cadre juridique national complet (UAE Nuclear Law) couvrant tous les aspects de la gestion d'une ifrastructure nucléaire, notamment la sûreté, la sécurité, la non-prolifération, la responsabilité nucléaire civile et d'autres aspects législatifs, réglementaires et commerciaux, pour entériner notamment la dimension pacifique du programme.
Ne justifiant d’aucune expérience dans ce domaine, les EAU ont dû mettre en place un modèle de gestion de leur programme électronucléaire basé sur des services de sous-traitants plutôt que sur la création plus lente d'une expertise locale. Des accords de joint venture ont été ainsi proposés à des investisseurs étrangers pour la construction et l'exploitation des futures centrales nucléaires. Une aubaine pour les spécialistes de l’énergie nucléaire qui ont emboîté le pas pour répondre à l’appel d’offres de la construction de la première centrale, Barakah.
Celle-ci a été ainsi menée par un consortium réunissant Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC) et le sud-coréen Korea Electric Power Corporation (Kepco), pour un coût estimé à 24,4 milliards de dollars (20,7 milliards d'euros), malgré la candidature française portée par un consortium composé d’EDF et d’Areva. Après une dizaine d’années d’examens en lien étroit avec l’Agence internationale de l’énergie atomique pour satisfaire les normes les plus élevées de sûreté, qualité et de sécurité nucléaire, le programme nucléaire émirien voit le jour.
Ce faisant, les Emirats ont commencé à structurer leur programme autour des entités suivantes :
- Autorité fédérale de régulation nucléaire (FANR) : Agence fédérale indépendante chargée de la réglementation et de l'autorisation de toutes les activités d'énergie nucléaire aux EAU avec la sécurité publique comme objectif principal. En janvier 2020, la FANR a effectué plus de 255 inspections de l'usine de Barakah et des installations connexes
- Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC) : Société, détenue à 100% par Abu Dhabi, chargée de développer des centrales nucléaires aux EAU. L’ENEC est responsable de la construction des centrales nucléaires d’Abou Dhabi et du développement des capacités humaines et d’un secteur local de l’énergie nucléaire.
- Barakah One Company : Filiale formée dans le cadre du partenariat de joint venture en 2016 formé par l'ENEC et KEPCO. ENEC détient 82% et KEPCO détient 18% de Barakah One Company, qui est responsable de la gestion des intérêts commerciaux et financiers du projet.
- Nawah Energy Company : Filiale formée dans le cadre du partenariat de joint venture en 2016 formé par ENEC et KEPCO. ENEC détient 82% et KEPCO détient 18% de Nawah Energy Company, qui est responsable de l'exploitation et de l'entretien des quatre unités de la centrale nucléaire de Barakah.
En outre, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et l'Association mondiale des exploitants nucléaires ont mené à ce jour plus de 40 missions et examens du programme des EAU, de l'usine de Barakah et de l'équipe d'exploitation pour s'assurer que toutes les activités sont conformes aux meilleures pratiques internationales.
Cette arborescence juridique et règlementaire justifie du sérieux et de la transparence des objectifs poursuivis par le programme nucléaire émirien, qui a été capable d’intégrer une multitude de parties prenantes. La filière nucléaire française portée par son parc de 56 réacteurs, le deuxième au monde après les Etats-Unis, gagnerait à se rapprocher de ce nouveau centre d’expertise locale, pour faire rayonner le savoir-faire nucléaire de la France.
Des motifs économiques qui sous-tendent cette diversification énergétique
Le choix de l’énergie nucléaire interroge et apparaît de prime abord contre intuitif pour les EAU qui sont le quatrième producteur parmi les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), riches également en gaz naturel. Mais sur fond de tensions géopolitiques qui s’ajoutent à un contexte de crise du baril de pétrole depuis quelques années, les Emirats entendent à travers cette transition vers de l’énergie propre, assurer la sécurité de leur approvisionnement, à l’origine de leur programme nucléaire. Le pays fait, en effet, face à une forte hausse de la demande en électricité (+50 % entre 2013 et 2020) liée au développement économique et démographique. A noter également que cette demande est tirée par l’accroissement des besoins en eau - dont la production par désalinisation assure l’essentiel de l’eau potable - est très énergivore.
Par ailleurs, près de 3000 emplois ont été créés, notamment pour les Emirats, qui représentent environ 60% des travailleurs. La stratégie nucléaire s’inscrit ainsi parfaitement avec les ambitions émiriennes de porter à terme une expertise scientifique et technologique locales, en lien avec sa vision nationale 2030 ambitieuse.
Dans le cadre de la stratégie énergétique 2050, le Premier ministre, Cheikh Mohammed ben Rachid al-Maktoum, a annoncé en 2017 son intention d’investir 163 Mds USD dans la diversification énergétique du pays et plus particulièrement dans les énergies solaires, hydraulique et nucléaire. L’objectif est d’augmenter la contribution de l'énergie propre dans le mix énergétique total de 25% à 50% d'ici 2050 et réduire l'empreinte carbone de sa production d'électricité de 70%. Pour y parvenir, il cible un mix énergétique de 44% d'énergies renouvelables, 38% de gaz, 12% de charbon propre et 6% de nucléaire.
Positionnement de l’offre française et concurrence
Le 21 novembre 2018, EDF et Nawah Energy Company, filiale de l’Emirates Nuclear Energy Corporation, ont signé un accord-cadre par lequel EDF fournira une gamme de services dans l’exploitation et la maintenance de la centrale de Barakah dans des domaines variés allant de la sûreté nucléaire à la gestion des déchets radioactifs, en passant par le management. Dans le cadre de ce contrat, EDF peut porter des entreprises françaises dans les appels à projet de NAWAH.
Au niveau de la concurrence présente, il s'agit surtout d'acteurs sud-coréens tels que Korea Hydro & Nuclear Power qui est en charge des services de soutien à l'exploitation et des activités coopératives, tandis que KEPCO Engineering and Construction (KEPCO E&C) a obtenu le contrat de sous-traitance pour la conception, l'architecture et les travaux d'ingénierie de l'usine. Doosan, conglomérat sud-coréen s'est vu confier la construction et la gestion du système d'alimentation en vapeur nucléaire (NSSS), du générateur de vapeur et d'autres composants connexes. Hyundai et Samsung sont également responsables des travaux de génie civil, tandis que Westinghouse fournit une assistance technique et des travaux liés aux licences. KNF fournira du combustible nucléaire, qui sera entretenu par KPS.
Source texte : World nuclear Energy, ENEC website, UAE government portal, power technology news
Source photo : https://www.enec.gov.ae/