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Un pays de surfeurs. Un look casual. Des ressources minières. Des kangourous. Une île-continent, loin, très loin…
L’évocation de l’Australie renvoie souvent à ces idées préconçues qui invitent davantage au voyage qu’au business. Et pourtant, avec une économie solide et près de 2 % de croissance en 2025, l’Australie s’impose comme une destination de choix pour les exportateurs français.
Où se situent ses moteurs de croissance ? quels sont ses enjeux de modernité ? quelles peuvent être les opportunités pour les entreprises françaises ?
Gare aux stéréotypes ! Voici neuf clichés auxquels tordre le cou…
Une destination pas si oubliée…
Vingt-deux heures : c’est, en temps de vol, la durée moyenne estimée pour rallier Paris à Sydney. Une donnée qui relègue bien souvent l’Australie au rang de destination « oubliée » de l’export : trop loin, trop excentrée, trop diffuse… « Le pays n’apparaît qu’à la trentième position des clients de la France, alors que son pouvoir d’achat est l’un des plus élevés au monde », regrette François Matraire, directeur du bureau Australie de Business France.
Et pourtant, les entreprises du CAC40, elles, ne manquent pas de prendre l’avion, avec des projets emblématiques qui résonnent parfois dans les médias : métro et tram de Sydney (Alstom, RATP Dév, Transdev), Ferry et bus urbains (Kéolis), construction de la Victoria Big Battery (Neoen), Route (Vinci), sponsoring de l’Open d’Australie de Tennis (Louis Vuitton), etc.
Alors, pourquoi cet écart de perception entre le CAC40 et les PME/ETI ? « Pour des entreprises plus petites, l’Australie serait vue comme un marché déjà mature en termes de coûts, qui ne présenterait pas un vivier de consommateurs suffisant pour compenser les contraintes liées à la distance », suggère François Matraire.
Le consommateur australien, un occidental pas comme les autres
Des observations battues en brèche par la réalité des chiffres : si le pays ne présente « que » 27 millions d’habitants, il s’impose à la deuxième place dans le classement mondial de la richesse médiane par adulte[1]. Ce qui correspond à un patrimoine de 268 000 USD pour un Australien médian, par comparaison avec les 146 000 dollars d’un Français (dixième du classement) ou les 124 000 d’un Américain (quinzième).
« Cette richesse des ménages repose à la fois sur le revenu et l’immobilier qui se maintiennent à des niveaux très haut, mais aussi sur un important revenu disponible pour la consommation, explique François Matraire. Et l’aspect « médian » signifie que ce pouvoir d’achat est largement réparti au sein de la population, contrairement à des marchés plus inégalitaires ». D’autant que la population ne cesse de s’accroître (+2,5% en 2023) à la faveur d’un solde migratoire positif, piloté par une politique d’immigration choisie.
D’où l’appel d’air puissant de ce marché en faveur de stratégies premium et de produits qualitatifs. Dans les grands centres urbains que sont Sydney et Melbourne (plus de 5 millions d’habitants chacun) Brisbane (2,7 millions), Perth (2,3 millions) ou Adélaïde (1,5 millions), les nouveautés cosmétiques, agroalimentaires ou lifestyle attirent un public croissant de curieux. « Les Australiens urbains sont de grands voyageurs qui aiment retrouver dans leurs boutiques les innovations de petites marques dénichées ailleurs, confirme François Matraire. Sur certains segments comme les parfums, il n’est pas rare de trouver davantage de produits niche que d’offres mainstream ».
Lifestyle, agro, cosmétique : pas si « laid back » que cela…
En 2024, le décorateur Fermob s’est ainsi lancé dans l’ouverture d’un showroom à Sydney après plusieurs années d’export dans le pays, tandis que des enseignes de mode comme Sandro et Maje multiplient les points de vente dans les centres-villes depuis la fin des années 2010. Côté produits agroalimentaires, les deux enseignes de grande distribution Coles et Woolworth dominent largement le marché mais laissent néanmoins une part belle aux épiceries fines et cavistes pour les produits d’import premium. : « Les consommateur australien sont des « Foodies » soucieux de leur santé et aux goûts matures, curieux de nouvelles expériences du côté des vins, des produits d’épicerie ou des surgelés », note François Matraire. Ouvert depuis 2016, le site France at Home réunit ainsi 250 marques françaises (dont Bonne Maman, Ducs de Gascogne, Haribo…) pour répondre aux besoins de la communauté française mais aussi et surtout du consommateur local.
Un pays, six marchés, 100 % de couverture web
« Ce qu’il faut comprendre avec l’Australie, c’est qu’il ne s’agit pas d’un seul marché, mais de plusieurs pôles géographiques qu’il faut savoir adresser de manière ciblée. En ce sens, l’Australie est une bonne rampe de lancement pour les États-Unis car les logiques de marketing et de commercialisation par État y sont souvent comparables, à plus petite échelle », analyse François Matraire. Un ancrage local qui plaide pour des stratégies d’import et de distribution par État, avec la possibilité de s’appuyer sur un partenaire spécialisé. « Entretenir ce lien de proximité est un impératif qui relève parfois du challenge car les Australiens réclament de la réactivité tout en conservant des horaires de travail dépassant rarement 17H ». Dès lors, le parcours d’un exportateur revient souvent à piloter depuis la France dans un premier temps, puis de s’appuyer sur des relais à Singapour, Jakarta ou un siège APAC, avant d’installer un V.I.E lorsque le volume d’activités grossit sur une ou plusieurs métropoles australiennes.
Ces bassins de consommation très concentrés et tournés vers l’innovation constituent en effet des terrains d’expérimentation intéressants pour tester des produits, comme c’est le cas dans le domaine médical ou dans le domaine technologique. La forte adoption digitale des australiens (connectivité, paiements digitaux, numérisation de la vie publique, écosystème de startups[2], etc.) permet également d’accélérer les stratégies de visibilité et de commercialisation d’un bassin à l’autre. « L’Australie est un terreau fertile pour les démarches digitales impliquant la participation web des consommateurs ou des activations marketing par les réseaux sociaux », confirme François Matraire. Au-delà de son intérêt commercial pour des exportateurs en plein lancement, cette caractéristique confirme l’appétence des Australiens pour toute solution technologique capable de répondre à des besoins métiers, à l’image du français Contentsquare, installé depuis 2020 via deux bureaux à Sydney et Melbourne.
Australie et Europe : trop loin pour être partenaires ?
Depuis la période du COVID, et plus généralement avec la multiplication des tensions géopolitiques dans le monde, l’Australie cherche en effet à diversifier ses partenariats et ses marchés d’échanges, et l’enjeu technologique pourrait faire partie de l’équation. Les surtaxes chinoises sur le vin australien instaurées en 2020 (puis supprimées en 2024) et les récentes taxes américaines de 10% ont mis en lumière la nécessité pour un marché ouvert et dépendant comme l’Australie de consolider d’autres relations commerciales.
Si les discussions entamées en 2018 sur un accord de libre-échange entre l’Australie et l’Union Européenne achoppent encore sur la question agricole, la nouvelle donne commerciale mondiale et la réélection du travailliste Anthony Albanese en mai 2025 pourraient accélérer le processus de reprise des négociations. D’autant que l’Australie, pays-continent détenteur d’importantes ressources minérales et minières se présente comme un partenaire de choix dans l’optique d’une stratégie indopacifique de l’Union européenne et de la France (pour rappel, le pays est le premier producteur de minerai de fer et de bauxite, 4ème producteur mondial de terres rares, sans compter ses réserves de charbon, lignite, uranium, or, nickel, plomb et cuivre qui atteignent 14 % du PIB).
La fin du modèle de la « commodity »
« L’enjeu de la chaîne de valeur des terres rares est au cœur des réflexions australiennes et européennes », souligne François Matraire. Avec sa Critical Minerals Strategy 2022-2030, l’Australie s’est engagée dans un programme de raffinage domestique de ses métaux rares pour limiter la dépendance qu’elle avait établie avec la Chine sur le maillon Transformation. Au-delà d’un soutien financier important incluant le développement d’infrastructures comme les projets Eneabba et Nolan’s, cette stratégie gouvernementale prévoit aussi le recours à des partenaires internationaux comme l’Union européenne et les États-Unis – des entreprises françaises en quête de sécurisation de leurs approvisionnements pourraient ainsi investir dans ce type d’installation.
« De façon générale, l’Australie cherche à développer l’aval de ses filières et à réimplanter des capacités de transformation, que ce soit dans le domaine minier, agricole ou énergétique, résume François Matraire. Vu les enjeux de coûts qui pèsent sur la main d’œuvre, cela implique forcément un recours à des équipements, notamment d’importation ».
Dans le domaine agricole, le bureau de Business France prévoit ainsi des courants d’affaires importants autour du machinisme et des solutions Agtech – comme en témoigne l’expansion très rapide du leader viticole Pellenc, installé depuis 2018 sur le territoire. Et sur le volet énergétique, la volonté du gouvernement de porter la part du renouvelable à 82 % du mix d’ici 2030 renforce l’appel d’air sur toutes les filières ENR : solaire et éolienne terrestre mais aussi éolienne offshore, hydrogène, énergie marine et batterie (sans compter la filière des carburants alternatifs dans le domaine des transports, notamment aériens). Des projets pilotés par des opérateurs privés mais financés parfois par des États locaux soucieux de développer les capacités productives sur leur territoire : en Tasmanie la production renouvelable couvre ainsi 100 % des consommations, tandis qu’en Australie Méridionale (région d’Adélaïde), ce taux monte à 70 %.
Convergence franco-australienne sur les standards sociaux et environnementaux
« La part prépondérante des États fédérés dans le pilotage économique et la commande publique est un élément de prospection à ne pas négliger », signale François Matraire. Avec ses six États (Nouvelle Galles du Sud, Victoria, Queensland, Australie Méridionale, Australie Occidentale et Tasmanie) et ses deux Territoires continentaux (Territoire de la Capitale Australienne, et Territoire du Nord), l’Australie fonctionne comme un État fédéral au sein duquel chaque État peut décider des priorités de politiques de développement économique et des règles de contractualisation avec le privé. Des critères comme la part d’emploi local ou le respect de réglementations sociales ou environnementales peuvent varier d’un territoire à l’autre. « Pour cette raison, notre travail consiste à interagir avec chacun de ces États pour identifier les projets et les critères qui pourraient correspondre aux entreprises françaises et positionner celles-ci », confirme François Matraire.
Un travail facilité par la convergence des autorités australiennes et des entreprises françaises sur le niveau de qualité sociale et environnementale attendue pour chaque projet. « Sur les enjeux de sécurité au travail, de normes sanitaires, ou d’engagement sociétal, les exigences australiennes s’avèrent bien souvent plus élevées qu’en France, avec un coût assumé et intégré sur ces questions : on ne retrouve donc pas le fossé de compétitivité qui peut parfois faire défaut à la France dans d’autres pays ». À l’heure où l’Australie accélère sur la construction d’infrastructures (notamment en vue des Jeux Olympiques de Brisbane 2032), l’expérience des grands groupes français d’ingénierie sur ces questions peut s’imposer comme un atout, tout en attirant de nombreux fournisseurs et sous-traitants dans leurs sillages.
Un territoire à conquérir… et à préserver
Dans le domaine des transports, le gouvernement prévoit ainsi d’investir 47 milliards d’euros dans les infrastructures pour mieux connecter les territoires et réduire les points de congestion : une ambition matérialisée par de grands projets comme le second aéroport de Sydney, l’extension de l’aéroport de Brisbane ou la construction de lignes ferroviaires à grande vitesse. « Il est encore difficile de parler de maillage territorial intégré car la décision relève souvent de la politique des États qui privilégient parfois des impératifs de court terme. Mais le message de stabilité envoyé par la reconduction du gouvernement fédéral est plutôt positif pour l’investissement », analyse François Matraire.
De fait, depuis son arrivée en 2022, l’Administration Albanese n’a eu de cesse de mettre en avant une politique orientée vers la construction de nouveaux logements (+1,2 millions sur cinq ans à partir de 2024), le développement d’infrastructures (Federal Infrastructure Investment Program) et la décarbonation (l’objectif de réduction carbone s’établissant à 43% d’ici 2030).
« Sur cet enjeu de la décarbonation, il est intéressant de constater les positionnements paradoxaux de l’Australie : c’est un pays qui affiche de fortes ambitions à l’international, notamment pour soigner ses marchés d’export et les réglementations de ceux-ci (ex : MACF, RDUE) mais qui conserve une vision intensive sur l’exploitation des ressources et sur certains comportements de consommation (le transport aérien notamment) », témoigne François Matraire. Une logique qui peut expliquer la percée encore timide des opérateurs français sur le segment cleantech, à rapprocher également du faible taux d’industrialisation du pays. « La question environnementale s’exprime peut-être davantage sur des sujets comme la biodiversité ou l’agriculture durable. Mais c’est surtout l’enjeu de la Ville Durable (urbanisme, transports, infrastructures) qui devient la priorité nationale et doit mobiliser les réseaux d’export français », signale François Matraire.
Skier au mois d’août
En 2032, l’Australie accueillera la planète entière à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques d’Été. Avant cela, elle sera le pays-hôte de la Coupe du Monde de Rugby masculine (2027) puis féminine (2029), après avoir déjà reçu plusieurs compétitions sur son sol… La consécration d’une décennie de sport impulsée par la nouvelle stratégie "Sports Diplomacy 2032+" et l’occasion de rappeler la place du sport dans l’imaginaire australien, à la fois dans le milieu de la haute performance et dans la pratique quotidienne de la population. « Les Australiens ont une culture du sport et des loisirs outdoor qui les conduit à s’exercer fréquemment tôt le matin ou à la sortie du travail. Leur classement au tableau des médailles olympiques et paralympiques est une source inépuisable de fierté pour eux », rappelle François Matraire.
D’où l’encouragement du bureau de Business France à explorer les opportunités qu’offre le pays dans cette filière Sport, surtout après l’expérience acquise sur Paris 2024, reconnue et applaudie par les professionnels australiens du secteur, et celle à venir sur le projet des JOP Alpes françaises 2030. « Car, oui, il y a aussi des choses à faire du côté de la filière montagne en Australie : il existe plusieurs stations en Nouvelle Galles du Sud, dans le Victoria ou en Tasmanie, et les projets d’infrastructures se multiplient », signale François Matraire.
Un rappel utile de la diversité du paysage australien (non, il n’y a pas de que des plages et du bush en Australie) et de la distance qui existe parfois entre la vision européenne du pays et ses réalités économiques « de terrain ». « Derrière la carte postale du surfeur cool, le pays offre un environnement de travail très cadré et formaliste qui offre une grande visibilité au monde des affaires : les Australiens ont une discipline forte… qui implique de se mettre à niveau ! »
Un surfeur en costume cravate, un skieur au mois d’août, un champ d’éoliennes en plein outback, un barbecue végétarien… voici peut-être d’autres images à développer pour mieux se figurer l’Australie de 2025.
[1] D’après le classement annuel de la banque UBS : global Wealth Report 2025 https://www.ubs.com/us/en/wealth-management/insights/global-wealth-report.html
[2] Quelques startups australiennes célèbres : Canva, Airwallex, Linktree, Atlassian…