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En 2022, l’enseigne provençale Panier des Sens se lançait sur le marché sud-africain, après vingt années de fabrication de cosmétiques naturelles et une internationalisation dans près de quarante pays. Pour l’occasion, la marque organisait un événement dans un spa de Johannesburg en présence de deux key opinion leaders reconnus dans leur pays, Craig Jacobs et Catherine Constantinides, respectivement designer et activiste environnementale. « C’est presque un cas d’école du ciblage marketing en Afrique du Sud, note Laurie Cohen, chargée de développement export Art de Vivre et Santé pour Business France dans le pays. On retrouve à la fois le positionnement premium du produit, l’accent mis sur la naturalité, le relais en institut, mais également l’appui sur des influenceurs, véritables sésames en Afrique du Sud ».

La Beauté en Afrique du Sud : innovation, durabilité et adaptation locale

Des chiffres de croissance entre 5 et 10 %

Car l’Afrique du Sud, première économie du continent africain et marché de 64 millions d’habitants (dont 16 millions dans la classe moyenne), ne cesse de s’enthousiasmer pour l’innovation cosmétique et la durabilité. Les chiffres de croissance en témoignent : si le marché global des cosmétiques et des soins est appelé à grossir de 5,91 % par an entre 2025 et 2030, le segment haut de gamme devrait enregistrer 6,85 % de croissance et celui des alternatives naturelles et biologiques 7,04 %[1]. Un boost sectoriel tiré par un contexte économique favorable depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition pro-business ANC-DA, et par une structure sociale très inégalitaire qui renchérit le pouvoir d’achat des classes les plus aisées – l’Afrique du Sud est le pays qui détient le plus haut score mondial sur l’indice de Gini, avec 63 sur une échelle de 100. « Pour ceux qui appartiennent aux premiers déciles et à la classe moyenne supérieure, les signes extérieurs sont importants… d’où un intérêt fort pour les cosmétiques, y compris chez les hommes, explique Clarisse Henrion, responsable du département Art de Vivre au sein du bureau Business France de Johannesburg. Mais il faut comprendre également l’ADN très innovant des Sud-africains dont la curiosité les pousse vers des niches de marché et des produits à forte personnalité ».

 Une cosmétique spécialisée sur les attentes locales

Formulation artisanale, composition vegane et naturelle, ingrédients locaux (rooibos, marula, aloe vera…), intégration de technologies et, surtout, adaptation du produit aux caractéristiques physiologiques de la population font partie des recettes-clés du succès. En 2016, le géant L’Oréal l’avait déjà compris en installant à Johannesburg un centre de recherche dédié aux spécificités de la peau et du cheveu africains.

Il faut dire que, dans un pays où les contraintes météorologiques varient d’un bout à l’autre du territoire (sécheresse à Johannesburg, climat océanique à Cape Town), les problématiques cutanées sont particulièrement présentes : peau sèche, hyperpigmentation, acné…d’où la réussite sur le marché de marques dermo-cosmétiques spécialistes comme La Roche-Posay, Vichy, Avène ou Caudalie. « Toutefois, dans le domaine du parfum ou du maquillage, cette adaptation aux goûts et morphotypes du pays peut constituer une barrière à l’entrée », concède Laurie Cohen qui cite les fragrances moyen-orientales ou les maquillages « à la Fenty » comme tendances fortes du marché. « Il y a cependant des cartes à jouer sur les soins capillaires ou sur des formulations innovantes qui n’existeraient pas déjà en Afrique du Sud ».

 Car l’enjeu numéro un pour les exportateurs reste de contrer la concurrence domestique, particulièrement active avec des marques comme Lelive., Africology, Esse ou encore SKNLogic – des enseignes nationales qui ont développé leur marché bien au-delà des frontières subsahariennes. « Le boom des cosmétiques sud-africaines tient notamment dans la valorisation des ingrédients locaux et l’héritage culturel qu’elles cherchent à mettre en avant, témoigne Laurie Cohen. Dans ce contexte, nous voyons beaucoup d’opportunités émerger sur le segment de la formulation en marque blanche, car ces enseignes sont toujours en recherche de technicité et d’innovation de pointe ». Le façonnier breton Technature s’est ainsi créé une place de choix sur ce marché, avec un engouement marqué de la part des producteurs locaux.

 La France aux avant-postes dans un marché non saturé

« L’intérêt principal du marché sud-africain, outre sa taille et son potentiel de croissance, tient dans son absence de saturation : les grandes marques premium ne sont pas encore toutes installées, ce qui en fait un marché ouvert pour les exportateurs en quête d’opportunités », note Clarisse Henrion. Une ouverture d’autant plus marquée que les procédures d’accès restent légères, voire inexistantes : il n’existe pas de process d’enregistrement pour les produits cosmétiques, sauf si ceux-ci présentent un caractère médicamenteux (une composante à étudier de près concernant les compléments alimentaires, dont le marché connaît une croissance évaluée entre 6 et 10 %).

 Avec 60 à 70 % de produits importés dans la valeur du marché cosmétique local, l’Afrique du Sud s’avère donc une destination de choix pour les entreprises françaises, lesquelles s’imposent comme deuxièmes fournisseurs du pays derrière l’Eswatini. Une position établie de longue date pour de nombreuses marques, via des contrats directs avec de grandes chaînes de pharmacies et drugstores (Clicks, Dis-Chem) ou plus généralement par l’entremise d’un importateur-distributeur. « La portée régionale est à prendre en compte, explique Clarisse Henrion. La majorité des distributeurs sud-africains opèrent dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne, donc avoir déjà un ancrage dans l’un d’entre eux est un argument pour convaincre – sans compter les opportunités nombreuses que cela ouvre sur la zone en cas de signature ».

Mais, patience toutefois, car la conclusion d’un contrat peut prendre du temps. Entre la négociation commerciale qui s’oriente notamment sur la volatilité du rand et l’inflation, et les étapes intermédiaires comme la signature d’accords de confidentialité (NDA), plusieurs mois peuvent s’écouler. D’où la nécessité de garder le contact avec le pays via des déplacements physiques ou une visibilité marketing.

 Stratégies physiques ou digitales ?

« Dans un pays qui valorise la culture de la démonstration, il est important de soigner son influence et ses réseaux sociaux, confirme Laurie Cohen. L’Afrique du Sud est un des pays les plus connectés au monde avec plus de neuf heures par jour passées individuellement sur internet ! » La visibilité web, le relais via des influenceurs comme Sayla Thompson ou la présence active sur Tik Tok et Instagram sont évidemment recommandés… même si le marketing offline n’a pas tout à fait abdiqué. « Les panneaux publicitaires en ville ou dans les transports gardent une forte caisse de résonance, ce qui n’est pas étonnant dans des métropoles rythmées par les embouteillages et les trajets des commuters ! ».

 Une résistance du « brick and mortar » qui s’exprime également sur le terrain de la distribution : si le e-commerce progresse de façon notable depuis 2020, il ne représenterait que 2,5 % des ventes sur le segment cosmétique (6 % des ventes au global) avec des développements encore récents sur des marketplaces généralistes comme Amazon ou Takealot. À l’inverse, le retail physique s’enrichit d’enseignes spécialisées Beauté, comme ARC apparue en 2020 ou le réseau des spas et instituts qui constitue un élément structurant du secteur de la beauté en Afrique du Sud – on peut citer les chaînes Camelot Spa ou Mangwanani African Spa qui opèrent généralement dans des hôtels de luxe.

 À la rencontre des acteurs Hospitality : le World Travel Market Africa à Cape Town

« Nous encourageons les exportateurs français à venir prospecter sur le segment professionnel ou même chez les retailers généralistes comme Woolworths ou EDGAR’S, car ces acteurs ont une structuration business et une appétence pour les cosmétiques tricolores qui peut faciliter les premiers contacts », assure Laurie Cohen.

En avril 2026, le bureau sud-africain de Business France compte ainsi organiser une série de rendez-vous B2B entre des acteurs français et les grandes chaînes hôtelières sud-africaines en marge du salon World Travel Market Africa à Cape Town. « Cette mission à forte composante Tourisme est une façon de mettre le pied à l’étrier des entreprises sur le marché sud-africain : via le segment hôtelier ou via les instituts, il est possible de se faire connaître et référencer durablement sur ce grand marché », signale Clarisse Henrion. Une visite du salon, des rendez-vous d’affaires et des événements de networking au consulat seront ainsi programmés pendant la mission (du 13 au 17 avril 2026).

 Un bon timing de prospection

« L’Afrique du Sud constitue une destination en croissance pour la délégation française car sa population s’intéresse aux tendances qui font le cœur de métier des cosmétiques françaises : durabilité, technicité, innovation… À l’inverse, des tendances concurrentes comme la Korean Beauty n’ont pas du tout imprimé dans le pays », explique Laurie Cohen. Un phénomène qui renforce l’idée que le marché reste ouvert sur le segment premium, d’autant plus avec un possible repli américain, si les 35 % de tarifs douaniers imposés par l’Administration Trump se poursuivaient.

Le défi pour les entreprises françaises restera alors celui de l’adaptation et de la localisation de leurs produits, avec un seul mot d’ordre : « Voyagez léger ! Seuls les échantillons ciblés sur la population locale pourront intéresser vos interlocuteurs »… Rendez-vous le 13 avril à Cape Town !

[1] Selon le rapport South Africa Cosmetics And Personal Care Products Market Size and Share, de Mordor Intelligence : https://www.mordorintelligence.com/industry-reports/south-africa-cosmetics-and-personal-care-products-market-industry