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Des besoins immenses et dans tous les secteurs : le « continent du 21e siècle » attire autant qu’il interroge. Comment l’aborder ? À quels challenges faut-il s’attendre ? Et quelles accélérations envisager ? Projets bailleurs, implantations locales, networking… À travers plusieurs témoignages, nous vous proposons d’explorer certaines voies d’accès privilégiées aux marchés du continent.

Les projets bailleurs : la France en pole position européenne

Le 23 juin prochain, à Abidjan, Claire Camdessus, représentante de la France à la Banque Africaine de Développement (BAD), accueillera un contingent d’entreprises françaises accompagnées par Business France pour une session de masterclasses dans les locaux de l’institution. Objectif de la journée : décortiquer les processus de soumissions aux appels à projets « bailleurs » et informer sur les opportunités à venir. « Mon rôle est de leur décrire le cadre dans lequel la banque intervient ainsi que les projets en cours et en préparation, précise celle qui participe au nom de la France au comité des actionnaires de la BAD. Je peux leur donner quelques conseils pour se positionner, même si le projet reste entre les mains du gouvernement qui le pilote ».

Il faut dire que, s’agissant des projets bailleurs – ces projets financés par les grandes institutions de coopération et de développement que sont la Banque mondiale, l’AFD, la JICA, la GIZ ou encore l’Union Européenne (DUE) – les entreprises françaises se montrent particulièrement performantes dans les phases de sélection. « Sur le périmètre des projets financés par la BAD, ce sont 307 millions de dollars qui ont atterri au bilan de sociétés françaises, soit 2 % des financements, confirme Claire Camdessus. Un chiffre qui place la France en tête des pays européens, mais loin derrière ses concurrents chinois, toujours favorisés par une prime au moins-disant ». Une bonne position française qui s’explique notamment par l’implantation déjà structurée et dense d’un tissu de grandes entreprises sur les secteurs privilégiés du développement (transports, eau, énergie, bâtiment, agriculture), ouvrant ainsi la voie à des projets d’ensembliers et à une veille de proximité.

Les délégations, « un système de recommandations »

Alioune Ndiaye a expérimenté cette accélération que procurent le networking et l’intégration dans des projets de bailleurs. En 2022, Anco Groupe ouvre officiellement l’antenne sénégalaise de la société – un bureau de contrôle des opérations BTP – avec la ferme intention de prospérer dans la sous-région, où les projets de construction immobilière explosent (au Sénégal mais aussi au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie…). La filiale signe un contrat avec Orange-Sonatel dès 2022 pour la construction d’un centre de santé mais peine à confirmer ses premiers prospects et les tentatives des équipes pour répondre à certains appels d’offres privés restent sans succès : « Quand on répond à un appel d’offres, il faut souvent présenter des références locales sur les cinq dernières années, donc c’est difficile pour un nouvel entrant », témoigne Alioune Ndiaye.

En 2023, il sollicite l’appui de Business France et, par ce biais, entame une collaboration prolifique avec Eiffage dès début 2024. Quelques mois plus tard, il participe à une délégation, c’est-à-dire un événement de networking organisé par l’agence auprès des banques de développement et des représentants d’institutions locales : « Nous avons rencontré des bailleurs mais aussi les services du Premier Ministre sénégalais, ainsi que des représentants de grandes entreprises comme Dangote, Les Ciments du Sahel, DGPU, BIG… », raconte-t-il.

L’accélération est immédiate : il participe alors à plusieurs appels d’offres au Sénégal, au Burundi (avec la Banque mondiale), au Congo… Aujourd’hui, Anco Sénégal assure le contrôle technique de projets pour le compte de clients comme CFAO Group ou Central Motors. « C’est vraiment grâce aux recommandations et au porte-à-porte que l’on peut percer sur le sol ouest-africain. Sur Google, on ne trouve pas grand-chose, on aurait dû passer par Business France dès le début », analyse-t-il a posteriori.

Depuis, Anco Sénégal postule aux projets des bailleurs internationaux via une procédure de soumission simplifiée, la Demande de Renseignements de Prix (DRP) réservée aux entreprises déjà détentrices de marchés. Et en décembre 2024, il s’est rendu en Mauritanie avec le PDG d’Anco Groupe et le Directeur des Opérations et du Développement pour investiguer le potentiel du pays où les besoins primaires (eau, électricité, transports) sont encore plus nombreux qu’au Sénégal, avec beaucoup de partenariats privés-publics en discussion. « C’était encore un évènement de délégation, cette fois-ci auprès de l’Ambassadeur de France, de la BAD, de la Banque mondiale et de l’AFD, souligne-t-il. Les discussions que nous avons eues là-bas nous laissent envisager sérieusement un déploiement sur place en 2025, mais c’est encore en phase de confirmation ».

Le coup de pouce d’une implantation locale

Pour Anco Groupe, le potentiel de la sous-région n’est donc plus à démontrer, avec une vraie solidité de la relation avec le client (20 à 30 % de taux de retour positif) et un rythme soutenu de nouvelles prospections. Alioune Ndiaye attribue ce décollage aux vertus de l’implantation et aux effets positifs de la mise en relation : « Une fois qu’on est sur place, cela devient plus facile de répondre rapidement et de trouver des projets ».

Une position partagée par Eudoxie Foua Egnifi, Directrice Générale Adjointe de Verifdiploma Africa, une edtech française installée à Abidjan et spécialisée dans la vérification et l’archivage des diplômes de candidats. « Nous avons créé notre filiale locale car il nous semblait important d’apporter de la réactivité à nos clients et partenaires : être au contact nous a permis d’identifier rapidement les besoins et d’enrichir notre périmètre de réponse ». Ainsi, en 2023, lors de l’ouverture de la filiale et des premières prospections auprès de grandes universités partenaires et d’entreprises recruteuses, elle découvre que les infrastructures de données de ses interlocuteurs nécessitent davantage de sécurisation pour intégrer la solution VerifDiploma. « Tout à coup, notre mandat d’intervention s’élargissait à de la gestion de projet IT, avec de l’achat tech et des process de digitalisation qui appelaient davantage de compétences ».

Elle monte alors rapidement une équipe d’une dizaine d’employés, tous recrutés sur place : « Gestion de projet, ingénierie IT, relation client, communication multiculturelle… Nous avons accédé à des qualifications équivalentes à ce que nous trouvions au siège français de l’entreprise, ce qui nous a immédiatement rassurés », précise celle qui compte aujourd’hui une petite dizaine de clients et partenaires en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Togo et récemment au Rwanda. « Les pays africains sont en pleine accélération technologique, avec autant de bassins de consommation que de viviers professionnels, confirme Claire Camdessus à la BAD. On a toujours tendance à penser les besoins du continent africain sous l’angle des infrastructures mais cela va bien plus loin ».

Plus de la moitié des projets dans l’énergie et les transports

Opportunités dans l’art de vivre, le tourisme, le retail… derrière l’apparence d’indicateurs comme le PIB [1] se cachent des réalités économiques très disparates, sur le plan social comme sur le plan des modes de consommation : en 2019, la BAD affirmait en effet que les classes moyennes sur le continent africain atteignaient 350 millions d’individus, avec une probabilité forte d’augmentation en lien avec la croissance démographique rampante du continent (2,7 % en Afrique subsaharienne). « Les besoins sont immenses, et dans tous les secteurs. Mais ce qui est aujourd’hui en question, c’est le déploiement de solutions à impact pour les populations, avec une attention plus forte portée à l’innovation », analyse Claire Camdessus.

Dans un contexte où le financement de l’aide au développement subit des menaces de réduction par certains pays actionnaires, la BAD fait valoir les chiffres positifs de son action : raccordement de 300 millions d’Africains à l’électricité, accès à l’eau potable pour 5 millions de personnes, développement de 25 000 entreprises agroalimentaires ou encore construction et réhabilitation de 1 300 kilomètres de routes. « Plus de la moitié des projets s’inscrivent dans le domaine de l’énergie et des transports », signale Claire Camdessus, qui rappelle les 11 milliards d’euros d’engagements de la banque en 2024, ainsi que les bénéfices représentés pour les entreprises prestataires : « Ce sont des projets de long terme, parfois transfrontaliers, avec l’assurance d’être payés au bout… ».

Adapter son positionnement

En discussion actuellement à la Banque mondiale, l’intégration de critères ESG dans le processus de sélection pourrait également favoriser les entreprises françaises au sein des organismes bailleurs. « Les entreprises françaises avaient tendance à ne pas soumissionner car elles craignaient de ne pas être compétitives, mais les choses changent : certains gouvernements ont été déçus de la qualité de certains projets et veulent axer leurs priorités sur davantage de durabilité », signale-t-elle.

Une problématique de positionnement qu’a rencontrée Eudoxie Foua Egnifi de VerifDiploma, lorsqu’elle a participé aux délégations de Business France auprès de la BAD et la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD) : « Nous arrivions sur le marché ivoirien avec une solution totalement nouvelle, que nos prospects ne connaissaient pas et avaient du mal à expérimenter. Le prix était un frein. Nous avons revu notre pricing et notre stratégie en lien avec Business France et en suivant les conseils des bailleurs », raconte-t-elle. Avec succès puisqu’elle décroche quelques mois plus tard un contrat avec l’Institut Polytechnique de Côte d’Ivoire.

Désormais, elle souscrit aux missions B2B de l’agence export à chaque prospection dans un pays du continent : « Notre développement va continuer à se faire en parallèle des missions de Business France : on regarde au Sénégal, au Bénin, au Burkina Faso et même en Tanzanie suite à l’événement eLearning Africa, explique-t-elle. L’appui institutionnel permet de lever des réticences, d’obtenir plus facilement des rendez-vous : pour une PME de quarante personnes comme la nôtre, c’est précieux ».

Ambition Africa : la grand-messe du networking

En novembre dernier, les équipes du siège de VerifDiploma, à Versailles, se sont rendues à la grand-messe du networking entre entreprises françaises et africaines : le forum Ambition Africa à Bercy, qui rassemble l’élite du monde des affaires africain venue de l’ensemble du continent. « Depuis sa création en 2018, on est sur deux mille personnes pendant deux jours et mille entreprises africaines en provenance de 43 pays d’Afrique. De nombreux ministres techniques africains participent aux tables rondes sectorielles », décrit Christelle Labernède, la directrice événementielle qui a créé et pilote notamment cet évènement majeur de Business France.

Alioune Ndiaye s’y est également rendu pour Anco Groupe et confirme : « J’ai rencontré plusieurs donneurs d’ordre, dont le directeur général de Meridiam, l’exploitant du bus de Dakar. Et puis, j’ai pu me mettre à jour sur l’actualité des différents pays, les projets qui y ont cours et les bénéfices que peuvent réaliser les entreprises françaises sur la zone » Plus de 3000 rendez-vous B2B sont en effet organisés chaque année à Ambition Africa.

Une priorité donnée à l’intelligence économique et aux rencontres directes qui fait le quotidien de Christelle Labernède et son équipe au sein de Business France : organisation d’Ambition Africa, délégations dans les locaux des bailleurs internationaux, mais aussi accompagnement des déplacements présidentiels et ministériels ou forums d’affaires pays à Paris… « On nous appelle l’équipe Événements Géographiques et Stratégiques (EGS) pour montrer la diversité des formats que nous proposons, explique Christelle Labernède. Nous sommes le seul service de l’agence à toucher à tous les secteurs et toutes les zones géographiques, mais avec une dimension institutionnelle et des formats de networking très poussés ».

EGS : Événements Géographiques et Stratégiques

Début avril dernier, l’équipe a ainsi organisé une délégation d’entreprises à Kinshasa pour explorer l’Angola et la République Démocratique du Congo et rencontrer les bailleurs et institutionnels de la région, dont la directrice de l’ANAPI, l’agence nationale pour la promotion des investissements en RDC. Puis elle a enchaîné sur la préparation du Forum d’Affaires Nigéria le 10 avril à Paris, « une journée d’information 100 % dédiée à un pays ou une zone, et réunissant environ 300 personnes », avant de coordonner le déplacement d’entreprises auprès du Président de la République lors de la visite officielle de celui-ci à Madagascar et à l’Île Maurice du 21 au 25 avril dernier.

« Ces ‘Missions Officielles’ en marge d’un déplacement présidentiel ou ministériel permettent aux entreprises françaises d’accompagner le président de la République ou le ministre français et de bénéficier d’une visibilité exceptionnelle, explique Christelle Labernède. Elles peuvent ainsi communiquer et gagner en crédibilité sur les différents marchés, en participant aux temps forts de la visite : cela facilite la prise de rendez-vous de très haut niveau par les bureaux locaux de Business France ».

Lors du déplacement présidentiel à Maurice et Madagascar, l’équipe EGS a ainsi organisé une délégation de 25 entreprises et une centaine de rendez-vous B2B ciblés. L’occasion pour la société InVivo de signer un protocole de coopération avec la Secrétaire d’État malgache en charge de la Souveraineté Alimentaire, Mme Tahian’Ny Avo Razanamahefa, le 23 avril dernier. « Il s’agissait d’un projet d’accès durable à une eau potable propre et sûre pour les familles malgaches, à travers la distribution d’équipements de purification innovants ORISA®, fabriqués en France. Tout cela faisant partie du programme de nouvelle ville rurale Ankohonana Miarina », précise Christelle Labernède.

Les activités d’EGS (Missions Officielles, Forums d’Affaires, Délégations Bailleurs et grands événements) conduisent l’équipe aux quatre coins du monde. Mais l’Afrique est particulièrement présente : « Notre agenda varie en fonction des priorités géopolitiques et économiques des différentes zones du monde, mais le continent africain occupe une bonne part de notre activité », confirme Christelle Labernède. En 2025, elle organise ainsi 13 forums d’affaires à Paris dont la moitié sur des pays africains (dont Tunisie, Sénégal, Libye, Nigéria et bien entendu Ambition Africa), en plus des deux délégations bailleurs sur place (en RDC donc, et en Côte d’Ivoire et au Sénégal fin juin). « Éventuellement, si le besoin s’en fait sentir, il est même possible pour nous d’organiser des forums d’affaires directement dans les pays explorés, comme ce fut le cas en Égypte sur la partie B2B en collaboration étroite avec les CCE en mai dernier », ajoute-t-elle.

« Oser y aller, mais de façon intelligente »

Du 23 au 26 juin prochains, les entreprises auront donc la possibilité d’investiguer les opportunités de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, avec de nombreux projets à la clé. L’occasion de tisser un premier lien avec les institutionnels mais également les entreprises présentes : « C’est important de s’intégrer dans les réseaux comme la Eurocham, souligne Alioune Ndiaye. Pour ma part, je suis désormais très investi dans ces instances ». Même son de cloche du côté d’Eudoxie Foua Egnifi, même si elle regrette une solidarité inter-entreprises à améliorer. « C’est difficile parfois d’entrer en contact avec des acteurs qui ne sont pas de son propre secteur, alors qu’il y a sûrement de la valeur à créer ensemble… ».

En 2022, lorsqu’elle s’est installée, elle a dû faire face aux formalités d’implantation et à la méfiance de certaines parties prenantes locales (« Notre solution amène une certaine transparence, ce qui n’est pas du goût de tout le monde ») mais, trois ans plus tard, elle en garde un souvenir positif : « Les démarches administratives n’étaient pas plus compliquées qu’ailleurs et, même si l’ouverture de cette agence était un pari et un investissement, aujourd’hui les résultats sont là : cela valait vraiment le coup ».

Dans son bureau à Dakar, Alioune Ndiaye partage le même sentiment : « Les principales difficultés sont liées au manque de lisibilité du marché, mais une fois qu’on trouve les bonnes personnes pour vous l’expliquer, cela peut aller très vite. Les coûts d’entrée sont faibles et le potentiel est réel : il faut oser y aller, mais de façon intelligente ».

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[1] Chiffres de la BAD à l’échelle du continent africain : 3 % en 2023, 3,3 % en 2024