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Neuf milliards au Vietnam, dix-sept milliards en Indonésie : à l’issue de la tournée sud-est-asiatique du président Macron en mai dernier, ce sont en euros les chiffres communiqués par l’Élysée pour matérialiser les commandes envisagées par ces deux pays auprès des acteurs économiques français. « Il y a actuellement un momentum très fort dans la relation diplomatique entre la France et plusieurs pays d’Asie du Sud-est, dont l’Indonésie, confirme Sylvain Biard, directeur Indonésie et coordinateur Industrie et Cleantech pour la zone ASEAN-Océanie de Business France. Cela s’explique à la fois par le dynamisme et le potentiel économique de cette région au cœur de l’Indopacifique, mais aussi par des intérêts communs à renforcer le partenariat dans un contexte d’hégémonie chinoise et de remous commerciaux avec les Etats-Unis »
Le maritime au cœur de la stratégie Chine+1
Si la défense et la sécurité sont au cœur des discussions, l’accélération des relations commerciales et industrielles occupe également un pan important du partenariat, avec un net renforcement des opportunités sur le secteur maritime au Vietnam et en Indonésie. « Avec plus de trois mille kilomètres de côtes au Vietnam et six millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive en Indonésie, les deux nations s’imposent dans la région comme deux puissances maritimes », confirme Mathias Hebrard, chef de pôle Industrie et Cleantech pour Business France au Vietnam.
Construction navale, transport maritime, énergies marines ou encore pêche et aquaculture… les viviers de collaboration sont nombreux dans le secteur, avec un dynamisme qui s’explique par l’ouverture des deux pays. « La perturbation des chaînes logistiques depuis la Chine lors de la période pandémique a conduit de nombreuses multinationales à implanter des capacités productives en ASEAN, comme une alternative, explique Mathias Hebrard. C’est la stratégie dite « Chine+1 ». Dans ces pays, il en a résulté un besoin accru d’infrastructures logistiques, notamment maritimes, pour accélérer le transport de matières premières, de produits semi-finis et de produits finis vers les zones d’export ou de réexport ».
Au Vietnam, une modernisation accélérée des ports
Pays emblème de cette stratégie avec la signature de nombreux traités de libre-échange, le Vietnam a accueilli en 2024 le chiffre record de 38,2 milliards de dollars d’investissements directs à l’étranger (IDE), pour les deux tiers destinés au secteur industriel. Par conséquent, le gouvernement s’est engagé à développer de nouvelles lignes de transport, à l’image de la ligne à grande vitesse Nord-Sud, votée en novembre 2024, tout en modernisant les terminaux portuaires. « Le plan national de développement des ports maritimes prévoit de porter la capacité annuelle du Vietnam à environ 1,4 milliard de tonnes de fret en 2030, alors qu’elle était de 689 millions de tonnes en 2020, explique Mathias Hebrard. Un objectif en volumes qui se double d’un enjeu environnemental car le pays souhaite obtenir le label Vert pour ses ports afin de répondre aux réglementations qui pèsent sur les donneurs d’ordre internationaux ».
Deux impératifs qui expliquent le souhait de digitaliser les infrastructures (intégration de logiciels de gestion, numérisation des procédures) et l’attention portée au développement de terminaux en eau profonde : les ports de Cân Gio ou de Cai Mep – Thi Vai concentrent ainsi les projets en matière de décarbonation. « Sur ces sujets, la présence française s’incarne dans l’activité de CMA-CGM qui codétient le port de Gemalink à Cai Mep, un terminal à partir duquel l’armateur compte installer une barge 100 % électrique vers la région de Binh Duong, rappelle Mathias Hebrard. Lors de la visite du président Macron, le géant français s’est même engagé auprès de la Saigon Newport Corporation (SNC) à développer un port en eaux profondes à Hai Phong dans le Nord du pays ». Charge aux sous-traitants tricolores de s’y positionner, en accord avec l’autorité nationale VinaMarine, chargée des trois cents ports vietnamiens.

En Indonésie, faire face à l’explosion du trafic
Un dynamisme en volumes qui s’observe également en Indonésie où l’infrastructure maritime doit supporter à la fois l’essor du commerce international et la priorité donnée par le gouvernement à l’accessibilité du territoire dans un pays constitué de plus de 17 500 îles. Plusieurs projets portuaires sont ainsi listés parmi les projets stratégiques nationaux : port de Patimban, port intégré d’Ambon, etc. « Le transport maritime domestique se développe pour répondre aux enjeux de connectivité vers l’est de l’archipel et accompagner le dynamisme du cabotage de commodités agricoles et de matières premières minérales qui sont particulièrement abondantes sur le territoire indonésien, explique Sylvain Biard. Étant donné le caractère stratégique de ces activités, l’État indonésien impose un plafond de 49 % à la prise de participation d’entreprises étrangères : Louis Dreyfus Armateurs (LDA) est ainsi présent à travers une co-entreprise avec le conglomérat indonésien Sinarmas, Sinarmas LDA Maritime ».
Sur les liaisons internationales, en revanche, il n’existe pas de restrictions particulières. L’enjeu étant pour les opérateurs de faire face à l’accroissement majeur des volumes transportés, en lien avec l’industrialisation du pays : en 1995, la jauge brute des navires faisant escale dans les ports indonésiens était de 850 000 tonnes brutes environ ; en 2023, elle avoisine les 2 millions, soit une multiplication par près de deux et demi en vingt-cinq ans. « L’Indonésie est entrée dans une stratégie de transformation aval de ses matières premières minérales et agricoles, après avoir longtemps fait figure de marché d’extraction, explique Sylvain Biard. La présence du détroit de Malacca, partagé par l’Indonésie, la Malaisie et Singapour, qui voit passer près de 100 000 navires par an soit un quart du commerce mondial, accélère davantage les flux et facilite le réexport vers les pays asiatiques et européens ».
D’où le même enjeu qu’au Vietnam : améliorer l’infrastructure portuaire. Une priorité qui a conduit le gouvernement à regrouper les activités de gestion portuaire sous une seule autorité, celle de l’opérateur Pelindo qui consolide ainsi la stratégie des 126 ports indonésiens en matière de digitalisation, de décarbonation et d’efficacité opérationnelle. « Pour l’instant, nous n’avons pas encore vu d’entreprise française d’ingénierie ou de génie civil signer de gros contrats en matière d’infrastructures portuaires, mais nos leaders des services maritimes que sont CMA-CGM et ses filiales spécialisées d’entreposage et de gestion logistique, ou encore LDA, sont bien présents. Il y a également des besoins en matière d’équipements portuaires ou de fourniture de services digitaux », signale Sylvain Biard, directeur pays Business France - Indonésie.
Un boom de la construction navale dans les deux pays
Des opportunités pour les acteurs français se dessinent également dans le secteur de la construction navale où les grands donneurs d’ordre nationaux (PT. PAL, Palindo Marine, Samudra Marine) voient leurs carnets de commandes grossir à la faveur d’une extension et d’une modernisation des flottes civiles et militaires. « Bien sûr, la commande des deux sous-marins Scorpene Evolved auprès de Naval Group a fait les gros titres, mais il y a également beaucoup à faire s’agissant des flottes marchandes avec plus d’une centaine de vraquiers et autant de méthaniers à renouveler sur les dix prochaines années, sans compter les milliers de bateaux de pêche attendus », souligne Sylvain Biard.
Spécialisé dans la motorisation, le marseillais Moteurs Baudouin dispose ainsi d’un accord de distribution avec Semangat Maritim, son partenaire local. Le cannois France Hélices, spécialiste de la propulsion marine, est également représenté localement, tandis que Bureau Veritas, présent de longue date en Indonésie, intervient pour sa part en matière de certification. Au total, ce ne sont pas moins de 250 chantiers navals qui se déploient sur le territoire indonésien, dont les plus connus se situent à Jakarta, Surabaya et sur l’île de Batam, qui bénéficie du statut de zone franche.

Au Vietnam également, les sociétés françaises se font une place dans les chantiers de construction navale, comme c’est le cas de la bretonne Pirou, installée à Hô Chi Minh Ville. « Au total, la flotte vietnamienne devrait atteindre 1 750 navires d'ici 2030, ce qui représente la construction de 16 à 41 navires par an, signale Mathias Hebrard. Avec l’enjeu de décarbonation qui impose de favoriser une construction verte, il y a matière à proposer des expertises françaises ». La compétence de Piriou a ainsi permis de livrer le second voilier-cargo de la société havraise TOWT, spécialisée sur le transport maritime décarboné, en attendant la construction du troisième prototype dans le port de Da Nang.
Le programme d’immersion « Économie bleue » Vietnam et Indonésie
Un dynamisme naval et maritime qui a conduit les deux bureaux de Business France à concevoir un programme d’immersion centré sur ces pays, avec une mission sur place en novembre prochain. « L’objectif est d’accélérer la rencontre avec les donneurs d’ordre locaux et d’effectuer des visites de sites stratégiques. Nous offrons également aux entreprises la possibilité de concevoir leur programme en fonction de leurs priorités : par exemple, si certaines d’entre elles souhaitent se rendre sur les chantiers navals de Surabaya, Batam ou Jakarta, nous pouvons organiser des déplacements ciblés », explique Sylvain Biard.
Organisée du 17 au 21 novembre, avec deux jours en Indonésie puis deux jours au Vietnam, la mission prévoit des séquences collectives et individuelles avec les opérateurs locaux : Pelindo, PT. PAL, l’Association des Armateurs indonésiens (INSA - Indonesia National Shipowners Association) ou en encore les autorités en charge de la sureté maritime pour l’Indonésie, VinaMarine ou VIMC pour le Vietnam. « Nous irons visiter le site de Gemalink, précise Mathias Hebrard. Sauf si l’entreprise est spécialisée sur d’autres problématiques que le naval et souhaite employer son temps autrement ».
Éolien offshore et énergie marine : des segments en plein décollage
Car le naval et le maritime ne sont pas les seuls terrains d’exploration sur lesquels la filière mer française pourrait coopérer avec le Vietnam et l’Indonésie : dans le domaine des énergies marines, et notamment de l’éolien offshore, des perspectives commencent à se dessiner. « C’est maintenant qu’il faut venir, prévient Mathias Hebrard. Le Vietnam a des enjeux colossaux de décarbonation et une surface côtière disponible qui laisse envisager de nombreux projets ». Fin 2024, le gouvernement annonçait dans sa loi sur l’électricité un objectif de près de 110 GW de capacité installée d'ici 2050, tandis qu’un rapport paru en mai 2025 estimait le potentiel éolien offshore du Vietnam à plus de 1.000 GW.
En Indonésie, c’est davantage la filière marémotrice et hydrolienne qui concentre l’attention : en juin 2025, l’énergéticien Pertamina s’est ainsi déclaré prêt à développer deux centrales à courant marin dans l’archipel de Nusa Tenggara d’ici 2028. Un premier projet qui devrait en appeler d’autres, comme en témoigne le chantier voisin de l’électricien PLN avec le britannique HydroWing. « Au regard de la confluence des courants marins, le potentiel dédié de l’Indonésie est estimé à 160 GW mais il ne faut pas ignorer le manque de maturité de la filière sur place : l’équation économique reste encore déséquilibrée et la priorité va à d’autres technologies au-delà de ces projets à effet démonstrateur », tempère Sylvain Biard.
L’Indonésie, 3e producteur de produits de la mer
Par extension, ses recommandations se portent plutôt sur la filière pêche, qui constitue une activité-phare de l’archipel indonésien : l’Indonésie est en effet le troisième producteur de poissons, crustacés et algues au monde, avec une part prépondérante prise par l’aquaculture (17 millions de tonnes de production en aquaculture contre 7 millions en eaux vives).

« On ne peut pas mentionner le secteur maritime en Indonésie sans rappeler tout le potentiel de la filière pêche et aquaculture : équipements et innovations aquacoles, systèmes embarqués pour les bateaux de pêche ou encore météorologie marine… Les opportunités sont importantes et méritent d’être scrutées chacune dans leur spécificité », témoigne Sylvain Biard.
Développer un relationnel sur place
L’événement de novembre sera donc un temps fort de la prospection en ASEAN, avec l’accélérateur que représente la rencontre directe avec les interlocuteurs économiques : « Des opérateurs comme VinaMarine au Vietnam ou Pelindo en Indonésie concentrent à eux seuls l’essentiel de la discussion business dans cette filière : il est impossible d’envisager des projets sur place sans développer un relationnel avec ces acteurs », confirme Mathias Hebrard.
D’autant que la concurrence fait rage autour de ces marchés dont les volumes croissants ne sont pas passés inaperçus : la Chine, le Japon, la Corée du Sud sont évidemment très bien ancrés, tandis que les pays européens ou océaniens pourraient bénéficier du report d’intérêt généré par les tensions commerciales avec les États-Unis. Avec 250 filiales en Indonésie et 230 au Vietnam, la France dispose d’un niveau d’implantation qui lui permet d’apparaître comme un interlocuteur crédible et reconnu. Le secteur de l’économie bleue fait, par ailleurs, l’objet de projets financés par l’Agence française de Développement (AFD) dans des domaines comme les éco-ports de pêche, la météorologie marine ou encore la recherche océanographique.
Le 14 juillet dernier, sur les Champs-Élysées, le président indonésien Prabowo Subianto était l’invité d’honneur du défilé militaire et des festivités de la Fête nationale. Une preuve de plus que la relation avec ce pays, et plus globalement avec le Vietnam et l’Asie du Sud-est, s’inscrit dans un contexte global de rapprochement et que les intérêts économiques et souverains des deux régions se conçoivent comme mutuels.
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