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Dans le paysage du commerce international de 2025, entre les pôles américain, chinois et russe, elle est une région qui rassure : la zone Asie du Nord-Est, réunissant le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, affiche une prospérité sereine et solide qui s’appuie sur un développement industriel et technologique reconnu. Trois marchés, et pourtant une cohérence régionale dans la maturité et les opportunités offertes aux exportateurs français. Thibaut Fabre, Directeur de la Zone Asie du Nord Est pour Business France revient sur l’exception culturelle de cette partie du monde et bat en brèche certaines idées reçues.
Pourquoi s’intéresser à la zone Asie du Nord-Est en 2025 ?
Parce qu’elle représente un pôle de stabilité et de confiance qui rassure en cette période d’incertitudes géoéconomiques. Face aux géants chinois et américains qui troublent profondément la capacité de projection des Européens, cette région du monde incarne un marché mature qui incite à l’investissement. Les qualités de ces marchés sont déjà bien connues (pouvoir d’achat, attrait pour la qualité, francophilie, maturité industrielle) mais le contexte 2025 les remet en pleine lumière. Les exportateurs ont besoin de confiance, et ces marchés axent précisément leurs relations commerciales sur cet enjeu-là.
Et du côté de ces marchés, y a-t-il un « besoin d’Europe » ?
Ce sont des économies qui ont appuyé leur croissance sur l’export via leurs grands conglomérats (les zaïbatsu au Japon, les chaebols en Corée du Sud) car la profondeur de leurs marchés domestiques semblait trop limitée. Aujourd’hui, ce modèle et cette performance à l’export sont menacés par les tarifs douaniers américains et par la concurrence chinoise sur les marchés d’Asie, qui étaient longtemps leur chasse gardée. La dépendance aux États-Unis, notamment, est critique : 20% des flux d’export japonais et 24% des flux taïwanais, soit un doublement en dix ans ! Donc, oui, face à leurs turbulents partenaires, les Japonais, les Coréens et les Taïwanais sont de plus en plus tentés de commercer avec l’Europe, et la signature d’accords de partenariat dans les années 2010 tombe à point nommé pour accélérer ces ambitions.
À l’import, quels sont les produits européens stratégiques qui pourraient capter leur attention ?
En tant que territoires confrontés à une insularité, réelle ou imposée, ces trois pays sont incités à développer leur résilience agroalimentaire, énergétique et minérale. Leur intérêt vis-à-vis de l’Europe se situe donc surtout au niveau agroalimentaire mais également dans les technologies qui permettent une rationalisation des ressources (efficacité énergétique, recyclage, etc). La décarbonation est donc un enjeu-clé et pas seulement pour des raisons idéologiques : en tant que nations exportatrices, ces trois championnes industrielles ont besoin d’accélérer la transformation de leurs appareils productifs pour conserver leurs marchés de débouchés. Elles voient leurs concurrentes chinoise et indienne, plus « neuves » et modernes, les prendre de vitesse sur ces questions environnementales et ne veulent pas se laisser distancer.
Et dans l’autre sens ? Que comptent-ils exporter en Europe ?
Sans grande surprise : des produits électroniques et automobiles, les deux piliers industriels de ces marchés. L’hégémonie de Taïwan en matière de semi-conducteurs n’est plus à démontrer : en 2022, son leader TSMC représentait 63% des capacités mondiales de fonderie des semi-conducteurs, et 90% pour les systèmes les plus avancés. Au Japon, c’est l’automobile qui reste emblématique, avec Toyota, premier constructeur mondial. Mais le pays est aussi identifié sur les segments électroniques, notamment sur la robotique où le pays s’impose avec 52% de parts de marché. Enfin, difficile de ne pas penser à Samsung ou Hyundai quand on évoque la Corée du Sud : le pays est souvent présenté comme un leader de la R&D, grâce à la politique fortement innovante des chaebols qui consacrent d’importants budgets à cet effort. Cependant, il est intéressant de constater que, malgré cette avance technologique, ces pays n’ont pas forcément pris le virage des technologies vertes ou des technologies de rupture.
C’est-à-dire ? Il y aurait de la place pour des solutions tech françaises ou européennes ?
Ce qu’il faut comprendre dans cet environnement technologique, c’est que les processus sont très verticaux : il n’existe pas, à proprement parler, d’écosystème d’open innovation. Et le rapport aux startups est parfois contrasté, surtout au Japon : dans ce pays, on recense moins de dix licornes, signe d’une réticence culturelle forte vis-à-vis de l’entreprenariat tech. Du coup, les opérateurs doivent souvent aller chercher à l’extérieur des briques innovantes répondant à des besoins précis. Et leur attention se porte en premier lieu sur le critère de qualité de l’ingénierie. C’est pour cette raison que nous alertons les fournisseurs français : au Japon, la French Tech dispose d’une aura incomparable (le plan J-Startup de 2018 en est directement inspiré et l’incubateur Station AI de Nagoya est une quasi réplique de la Station F française). Il ne faut pas se censurer sous prétexte que ces marchés semblent très avancés technologiquement, ils ont besoin de nos solutions !
Avez-vous des exemples ?
Beaucoup ! On peut citer la récente annonce de LG Electronics de collaborer avec Pasqal, le leader du quantique français, ou encore le succès d’Invntec créateur d’une solution de refroidissement pour les datacenters, qui travaille avec TSMC et avec le consortium Rapidus (lequel vise à relancer l’industrie des semi-conducteurs au Japon). Côté greentechs, il y a METRON qui a signé un partenariat avec NTT, ou la licorne EcoVadis qui continue de s’imposer comme une référence de l’évaluation RSE à l’international. Dans le secteur aéronautique, l’entreprises OpenAirlines, qui aide les compagnies aériennes à optimiser les vols, vient de signer un contrat avec Nippon Cargo Airlines. Enfin, ces succès français s’incarnent également dans le secteur des ICC, avec l’exemple d’Atlas V dans le domaine (historique !) du jeu vidéo.
Le Japon est parfois présenté comme « à la traîne » par rapport à son voisin coréen : est-ce une réalité ?
Il y a une vraie bataille de rayonnement et de communication dans la zone. S’il est vrai que la Corée du Sud a connu un dynamisme important avec la percée de grands groupes internationaux dans les années 2000 et l’avènement du phénomène Hallyu (K-Pop, K-Beauty, etc), le Japon n’en demeure pas moins la 4e économie du monde (il devrait même être situé en 3e position devant l’Allemagne, si le yen n’était pas si faible) et son assise industrielle reste forte, avec près de 30% de son PIB (contre 32 % pour la Corée et 36 % pour Taïwan). Le gros enjeu pour le Japon actuellement tient dans sa capacité de rebond après cinq décennies au cours desquelles il a progressivement acquis puis assimilé des technologies (c’est le fameux « vol d’oies sauvages » d’Akamatsu). Désormais, il s’agit de structurer une nouvelle capacité d’innovation et de lutter contre une spirale déflationniste qui s’était installée à la fin des années 1990. Aujourd’hui, la remontée des salaires après plusieurs négociations sociales, associées à des augmentations notables, offre une nouvelle respiration au budget des ménages et donc un regain d’énergie au marché.
Justement, parlons du consommateur dans cette zone : comment qualifier son comportement ?
Là-dessus, je ferais la distinction entre les trois marchés, car il y a des spécificités culturelles. Au Japon, le consommateur est très orienté sur la qualité et la fidélité à une marque. Le prix n’entre pas forcément en ligne de compte pourvu qu’il y ait de l’excellence et du savoir-faire dans le produit. En Corée du Sud, l’intérêt pour la qualité est aussi présent mais la fidélité l’est moins : les Coréens sont plus volatiles car davantage curieux de l’innovation et des phénomènes de mode. Les réseaux sociaux ont un impact important. Enfin, à Taïwan, la dimension démonstrative de l’achat est présente : posséder un objet fait partie d’une certaine culture de valorisation. L’attrait de Taïwan et de la Corée pour les phénomènes de mode conditionne forcément la négociation sur les prix : avec une volatilité plus forte, l’enjeu de compétitivité entre à part entière dans le travail de conviction des partenaires.
Mais les consommateurs de ces pays disposent-ils d’une marge d’achat suffisante pour couvrir cette recherche de qualité ?
Ce sont des pays qui sont connus pour leur niveau d’épargne : il y a une tendance culturelle à mettre de côté une partie de son salaire, notamment au Japon (cela explique notamment que la dette japonaise soit aujourd’hui détenue à 90 % par ses épargnants domestiques). D’où un resserrement important de la consommation à l’époque du COVID pour faire face à l’incertitude. A titre d’exemple, la part du budget des ménages consacrée aux voyages hors Japon a fortement diminué, résultant de contraintes économiques et sanitaires. Les dépenses ont alors été réorientées sur le marché domestique, entraînant une localisation de la consommation et une plus forte demande pour des produits importés. S’acheter une bouteille de vin, cuisiner chez soi, décorer son intérieur sont devenus des plaisirs pour lesquels on dépense sans compter, et les catalogues des distributeurs ne s’y sont pas trompés. Aujourd’hui, ce sont eux qui viennent démarcher les importateurs pour signer des fournisseurs, y compris sur des niches de marché très étroites et spécialisées. Résultat : le marché a gagné en profondeur et présente de nouvelles opportunités pour l’offre française.
Vin, épicerie, cosmétique… Le Made in France disposerait donc toujours d’une aura particulière dans ces pays ?
Il faut bien le reconnaître : les clichés français continuent de fonctionner à plein sur ces pays, quelles que soient les générations (seniors au Japon, millenials en Corée du Sud et à Taïwan). La valorisation de la marque France y atteint probablement son apogée mondiale. Cependant, outre la nécessité de préserver cet héritage (parfois menacé par des pays tiers), cette position rentière ne doit pas exonérer les exportateurs d’un effort supplémentaire : à Taïwan, la naturalité et la traçabilité d’un produit sont par exemple au cœur de l’acte d’achat. Dans les trois pays, les consommateurs sont très éduqués et avertis ce qui signifie qu’il faut être en mesure de répondre à cette curiosité (histoire du produit, origine et composition, etc).
Il n’en reste pas moins que l’accès au marché reste difficile, avec un coût non négligeable pour des PME et ETI…
Ce n’est pas tant le coût que la barrière culturelle ou la complexité d’immixtion sur les marchés. En matière de tarifs purs, les accords de partenariat ont donné un vrai coup de pouce à l’Europe et, si la parité avec le yen est actuellement défavorable, c’est une contrainte qui s’applique uniformément à tous les pays, donc il n’y a pas de perte de compétitivité pour l’Europe. Le réel challenge lorsqu’une entreprise pose le pied dans ces pays, c’est plutôt de s’y faire recommander et référencer : ce sont des marchés qui prennent du temps, qui réclament une introduction formelle via des réseaux ou des partenariats. On ne peut pas espérer y faire un coup d’éclat en trois messages Linkedin et un rendez-vous visio !
Faut-il alors nécessairement s’y implanter ?
C’est un préjugé. Oui, il y a beaucoup de grandes entreprises françaises implantées au sein de la zone (ce qui, d’ailleurs, donne un vrai coup de pouce en matière de recommandation et tire l’offre française). Mais la réalité, c’est que la percée sur les marchés se fait très bien via l’export, même à distance. Les exportations réalisées par nos PME-TPE correspondent d’ailleurs à une part significative du flux de nos échanges vers le Japon, soit 37 % du total (par comparaison, ce taux n’est que de 28 % en Allemagne et de 30 % en Italie). Ce qu’il faut retenir de la zone, c’est que… c’est une zone justement : les exportateurs ont tout intérêt à explorer les trois marchés globalement, car ceux-ci se situent à moins de deux heures d’avion les uns les autres et présentent des caractéristiques similaires. Quitte à faire le voyage, autant mutualiser certains efforts !
Dernier enjeu mais non des moindres : le vieillissement démographique. Aujourd’hui, les marchés sont dynamiques, mais demain ?
Cette tendance est partagée par la quasi-totalité des économies développées mais elle est très marquée au sein de la zone. Le taux de fécondité coréen se situe à 0,7 enfant par femme et, au Japon, la part des plus de 65 ans représente près de 30 % de la population. Les difficultés qui en émanent ne doivent pas être occultées : un budget de sécurité sociale qui s’accroît, une population active qui se rétracte et se séniorise, des risques sur la productivité et l’innovation... Ce sont bien évidemment des menaces à prendre en compte mais cette situation génère également des opportunités concrètes. Je pense par exemple à l’accompagnement du grand âge, les services à la personne, la santé. Et surtout, un besoin croissant d’automatisation et de solutions technologiques pour compenser le manque de main-d’œuvre. Sur tous ces segments, l’offre française est très bien positionnée. Enfin, cette population senior, dotée d’un pouvoir d’achat important, manifeste un réel intérêt pour les produits français. Le Japon est à un moment de rebond, la Corée du Sud et Taïwan à des niveaux de croissance d’environ 2 % en matière de consommation : c’est maintenant qu’il faut travailler ces marchés !
Un dernier mot pour inviter à faire le voyage jusque dans la région ?
L’Asie du Nord Est n’est pas un mirage pour les PME et ETI françaises. Elles y prospèrent quand elles sont bien accompagnées. C’est précisément la mission des bureaux Business France de la zone : transformer la complexité locale en levier de croissance concret pour les entreprises françaises. Au total, tous les feux sont au vert pour réussir et faire de vos succès au sein de la zone, une référence et un tremplin pour ouvrir d’autres marchés en Asie.
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