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En 1987, le diplomate Alain Rouquié[1] fait paraître « Amérique latine. Introduction à l’Extrême Occident », un ouvrage qui deviendra rapidement une référence dans la perception moderne du continent latinoaméricain. Dans cet essai, il fustige les raccourcis exotiques fréquemment associés à la région et la vision globalisante d’un territoire qui, pourtant, présente des réalités business et sociétales très différentes du Nord au Sud et d’un océan à l’autre.
« La notion d’Extrême Occident qu’il y défend souligne la proximité culturelle de ces pays avec l’Europe de l’Ouest, poursuit Nasser El Mamoune, directeur export Amérique Latine pour Business France. Elle permet de réfléchir à la place unique qu’occupe l’Amérique latine dans un monde globalisé : sa volonté de jouer un plus grand rôle à l’international, sa position centrale sur les enjeux environnementaux et sa quête d’intégration régionale. Par-dessus tout, elle invite les acteurs business européens à explorer plus sérieusement la région pour en mesurer toutes les transformations et le potentiel ».
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Le paradoxe français
Car, s’agissant de la France, un paradoxe demeure : si les grandes entreprises du CAC40 sont presque toutes présentes via leurs nombreuses filiales, faisant de l’Hexagone un partenaire de long terme avec une place de premier ou deuxième employeur de chaque pays, les échanges de biens et de services, eux, restent mineurs. Le Brésil, par exemple, ne représente que 0,73% des exportations françaises et le Mexique 0,63%. « Les PME et ETI françaises sous-investissent ce marché par méconnaissance de son pouvoir d’achat, de sa couverture capitalistique et de la modernité de son appareil productif ; mais aussi par crainte de certaines barrières (douanes, réglementations, concurrence) alors que ces contraintes ne s’appliquent pas de manière uniforme à tous les pays », insiste Nasser El Mamoune.
Alliance du Pacifique vs Mercosur
En effet, le niveau d’ouverture commerciale n’est pas le même entre les pays de l’Alliance du Pacifique (dont Mexique, Colombie, Chili, Pérou) et les pays du Mercosur (qui comprennent le Brésil et l’Argentine) : si les premiers sont des marchés ouverts, avec de nombreux accords de libre-échange signés avec l’Union Européenne, les seconds sont réputés plus protectionnistes. « Pour des produits de grande consommation, dans les cosmétiques ou dans l’alimentaire par exemple, il vaut mieux viser des pays de l’Alliance du Pacifique comme le Chili, le Pérou ou la Colombie, conseille Nasser El Mamoune. Mais pour des produits situés plus à l’amont des chaînes de valeur (ingrédients, production à façon, intrants et équipements), le Brésil et l’Argentine continuent d’offrir de belles opportunités ».
En déplacement en Amérique du Sud en 2024, le président Macron a multiplié les efforts pour resserrer les liens diplomatiques et commerciaux avec les pays de la région. Il était ainsi en visite d’État au Brésil en mars, puis en Argentine et au Chili en novembre, en marge de sa participation au sommet du G20 à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre 2024. Son message : pousser l’expertise française sur les enjeux de transition énergétique et durable et valoriser l’engagement de la France face aux grands défis de la planète.
Minerais, biomasse, oil & gas : une rente naturelle, mais pour combien de temps ?
Car, dans des territoires marqués par l’extraction de la ressource agricole et minérale, la durabilité et l’impératif de décarbonation revêtent désormais un caractère commercial stratégique : « L’apparition de réglementations contraignantes en aval de filières, comme c’est le cas actuellement avec le règlement anti-déforestation, peut constituer une menace sur les débouchés de ces pays (notamment au Brésil où le code forestier autorise une « déforestation légale »), explique Nasser El Mamoune. Il leur importe donc de trouver des solutions rapides et efficaces de décarbonation ». La promotion de la chaîne de valeur des bio-intrants made in France pour échapper à la dépendance des intrants carbonés chinois est l’une des options retenues par la filière.
Mais cette réflexion s’applique également au domaine énergétique : dans des pays qui se détachent par le haut niveau de durabilité de leurs mix énergétiques et électriques (au Brésil, 85 % du mix électrique est d’origine renouvelable et 48 % du mix énergétique global), les politiques de production d’énergies renouvelables (ENR) se montrent encore très ambitieuses. Le Chili affiche ainsi un objectif de 70 % du mix en 2050 (dont une part importante d’hydrogène vert), tandis qu’au Brésil, la part majoritaire d’hydroélectricité subit les effets du changement climatique et doit trouver des relais avec le solaire, l’éolien et la biomasse. « L’ingénierie ENR est un maillon sur lequel la France peut se positionner, indique Nasser El Mamoune. La plupart des grands exploitants français comme ENGIE, EDF Renewables, Voltalia, Qair ou TotalEnergies sont déjà présents ».
L’usine de l’Occident ?
Si l’Amérique latine est connue pour ses activités amont, le territoire n’en reste pas moins un champion industriel. Qui, dans le contexte 2024, s’attaque aux enjeux de décarbonation et d’optimisation opérationnelle. « Le cas du Mexique est intéressant, souligne Nasser El Mamoune. Pendant des années, il a été l’usine d’assemblage des Etats-Unis pour l’automobile et l’aéronautique, en important des pièces détachées et en exportant à son voisin. Désormais, le Mexique intègre toute la chaîne de valeur en produisant ses pièces sur place et en exportant une part croissante vers les autres pays d’Amérique latine et en Europe ». Une production localisée et intégrée que l’on retrouve également au Brésil, dans certains secteurs industriels comme les cosmétiques ou l’industrie pharmaceutique.
L’essor du véhicule électrique pourrait ouvrir une fenêtre d’opportunités pour les fournisseurs français (même si dans le cas du Brésil, la priorité du gouvernement reste le développement de la filière des biocarburants), tout comme le déploiement de solutions opérationnelles d’efficacité énergétique ou de digitalisation. « L’intelligence artificielle, la robotique et la fabrication additive sont des gisements de valeur que les industriels regardent de près », rappelle Nasser El Mamoune.
Un continent de villes
Mais l’enjeu numéro un pour le territoire reste celui de son urbanisation : en 2024, plus de cinquante villes dépassent le million d’habitants et près de 90% de la population habiterait dans une agglomération. Une densité exceptionnelle qui pose de nombreux défis en matière d’inégalités, d’accès aux services et d’assainissement. « La priorité, ce sont les transports, car c’est ce qui garantit l’intégration des différentes populations : tous les pays ont des besoins urgents sur cette question ». En 2021 et 2022, Alstom a ainsi signé des contrats avec les villes de Santiago du Chili et de São Paulo au Brésil pour la fourniture de rames automatiques Metropolis. Et en 2023, c’est à Belo Horizonte au Brésil que le constructeur s’est vu confier la conception d’une nouvelle infrastructure de signalisation.
« Et l’autre défi majeur, c’est celui de l’accès à l’assainissement, poursuit Nasser El Mamoune. Si les réseaux d’eau potable sont désormais installés de manière quasi-uniforme dans la plupart des grandes villes, l’évacuation des eaux usées est, elle, plus problématique ». Au Brésil, près de 50 % des habitants ne disposent pas d’un service de collecte des eaux usées, une situation qui amplifie le phénomène de pollution des cours d’eau.
Si cette urbanisation exponentielle pose des questions en matière de ville durable et de santé, elle ouvre également des opportunités sur le terrain de la consommation. Sur les 655 millions d’habitants que compte la zone, environ 37,8 % appartiendraient à la classe moyenne avec un PIB par habitant moyen de 9300 USD (un chiffre à modérer au regard des fortes inégalités observées au sein des pays, mais aussi entre les pays de la zone). Des populations attirées par des modes de vie occidentaux mais confrontées également à des problématiques de santé : le Mexique détiendrait désormais le triste palmarès de l’obésité et du surpoids dans le monde, et la consommation de médicaments et dispositifs médicaux serait en forte croissance. « Même si la période du COVID a marqué un coup d’arrêt dans l’enrichissement des classes moyennes, les villes d’Amérique latine représentent des bassins de consommation importants, marqués d’une forte digitalisation. Toute tendance relayée sur les réseaux sociaux ou via les messageries instantanées peut rapidement acquérir un effet volume impressionnant », souligne Nasser El Mamoune.
La LATAM Tech
Car il est vrai que les usages tech sont bien plus avancés dans la zone Amérique latine qu’en Europe, à la faveur d’une culture « early adopter » très encline à l’innovation et aux nouveaux produits. Près de 60% des achats en ligne y sont réglés par téléphone mobile et de nombreuses applications visent à ouvrir et fluidifier l’accès au paiement – comme c’est le cas au Brésil depuis 2020 avec l’application PIX. En moyenne, les latinoaméricains seraient connectés 9 ou 10 heures par jour, ce qui amène les grands opérateurs du web à utiliser les métropoles comme zones de test pour des lancements de produits. Dans le domaine du commerce en ligne, le géant local d’origine argentine, Mercado Libre, a même dépassé Amazon, et le brésilien Magalu s’est allié au chinois Aliexpress en 2024 pour profiter d’un échange de visibilité des produits sur leurs plateformes respectives.
« Pour les entreprises de la tech française, l’Amérique latine offre surtout des opportunités dans le domaine des paiements, de la fintech ou sur des applications liées au commerce en ligne, précise Nasser El Mamoune. Il y a beaucoup d’acteurs locaux bien installés donc il s’agit surtout de proposer des briques innovantes et de s’intégrer à des démarches d’incubation ».
Un bastion américain ?
Reste à trouver sa place dans un marché latinoaméricain fortement concurrentiel, où les Français ne sont pas forcément attendus. « L’Amérique latine a longtemps été sous la férule business des États-Unis, confirme Nasser El Mamoune. Encore aujourd’hui, les États-Unis sont le premier fournisseur du Mexique et de la Colombie, et le second du Chili et du Brésil. Mais la Chine truste désormais la première place au Brésil, au Chili et en Argentine ». Une suprématie chinoise qui commence à inquiéter le voisin américain et qui pousse les gouvernements à diversifier leurs flux d’import.
Mais le concurrent majeur sur place pour les acteurs français sera plus probablement l’industrie nationale qui, pour le Brésil et le Mexique, s’élargit de plus en plus en matière d’activités comme d’intégration de chaîne de valeur. Les échanges intra-latinoaméricains sont d’ailleurs le phénomène remarquable des années 2000 : en Argentine, le deuxième fournisseur du pays (devant les États-Unis) est… le Brésil.
Dépasser « l’effet Tequila »
Cette concurrence et ces défis d’accès au marché conduisent alors Business France à revoir ses stratégies d’approche pour assurer la conversion des prospections : « Désormais, nous procédons par sourcing de donneurs d’ordre en qualifiant les besoins pour chacun et en cherchant à y adosser une solution française en réponse, explique Nasser El Mamoune. D’une certaine façon, je ne suis pas là pour aider les entreprises à exporter, mais plutôt pour aider les entreprises latinoaméricaines à importer des solutions françaises ».
Une approche en miroir qui ne doit pas exonérer les entreprises françaises d’une stratégie d’adaptation au marché ni d’une grande flexibilité dans la gestion des projets. « Les latinoaméricains ont la culture de l’instantané, sans forcément de planification : il faut donc s’habituer à travailler au fil de l’eau », analyse Nasser El Mamoune qui met également en garde contre « l’effet Tequila » ou « effet Caïpirinha » (une convivialité apparente dans les rapports business qui ne débouche sur aucun projet concret). « Mais les latinoaméricains ont une culture de la relation humaine et sauront toujours se montrer curieux et ouverts pourvu que le discours ou la solution proposée répondent à leur besoin ».
Continent de villes, de ressources, d’industries, de technologies… l’Amérique latine de 2024 est donc bien plus que la somme de tous ses clichés. Un continent ouvert sur le monde, et notamment sur l’Europe, où la France tient une place remarquée – par son image comme par ses relais économiques et diplomatiques. Mais aussi un continent en pleine transformation qui doit répondre rapidement au double défi de l’urbanisation et du changement climatique. « C’est un bassin d’opportunités qu’il faut apprendre à approcher, conclut Nasser El Mamoune. Personne ne nous attend, la concurrence est là. Mais il y a beaucoup de success stories à aller chercher du côté de l’export ».
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[1] Il deviendra notamment ambassadeur de France au Mexique et au Brésil dans les années suivant la publication de l’ouvrage