Date de publication :
Vous pouvez également trouver une version courte de cet interview en vidéo en cliquant sur le lien suivant : https://www.teamfrance-export.fr/infos-sectorielles/10332/10332-la-consommation-des-contenus-culturels-et-creatifs-du-public-taiwanais?slugSecteur=retail-services-et-culture&codePays=TW
Q1. Pourriez-vous vous présenter ainsi que Mediasphere ?
Je suis Justine, et je suis à la fois assistante exécutive du directeur général et directrice du département Venue Operation de Mediasphere. Mediasphere, créée il y a une vingtaine d’années, est une entreprise qui organise des événements culturels. Dans le passé, nous avons eu des activités dans le domaine des expositions et du spectacle vivant, promouvant les échanges entre plusieurs musées pour différents types d’expositions. De plus, depuis cette année, la gestion d’anciens bâtiments, de sites historiques et d’espaces culturels font partie de notre scope d’opérations.
Q2. Selon vos expériences, quels types de contenus culturels et créatifs intéressent le plus le public taïwanais ces dernières années ? Avez-vous des exemples ?
En fait pour le public, les contenus divertissants restent plus attirants, comme on peut le voir avec le secteur cinématographique qui se développe bien par exemple. Quant à nous, nous nous focalisons essentiellement sur l’aspect évènementiel, bien que nos activités aient quand même légèrement baissé ces dernières années. Pourtant en même temps, de nouveaux formats sont mis en place, par exemple les expériences interactives et immersives. Ou bien les événements combinant les « propriétés intellectuelles » originales que l’on aime, comme les personnages d’animations etc., où nous présentons plus en détails le parcours de création de ces contenus. Cela permet de combiner le divertissement et des éléments culturels. Par exemple, nous avons organisé des expositions avec des musées, qui restaient dans un format classique pour présenter des œuvres d’art ou des artefacts culturels.
En raison de la popularité des parcs culturels depuis quelques années, nous avons apporté à Taïwan différents mangas et dessins animés connus à l'international. Taïwan étant proche du Japon, sur ces thèmes-là, naturellement nous avons plus de contenus japonais. Pour l’exposition One Piece, sa première à l’étranger a été à Taïwan où des ébauches originales du dessinateur ont été exposées, en plus des présentations de la création de scènes et de post-production. Les gens qui aiment cette série peuvent ainsi avoir une vue d’ensemble du parcours de création et le développement de l’histoire.
Q3. Comment la façon dont les Taïwanais consomment des contenus culturels et créatifs pendant la période de Covid-19 a-t-elle évolué ? Selon vous, ces changements vont-ils se poursuivre au-delà de cette période, ou le public retournera t il à l’ancien comportement de consommation de ces contenus ?
Notre secteur valorise beaucoup le contact humain, c’est-à-dire que le fait d’être touché par une expérience en direct reste plus intense. Même si la pandémie génère beaucoup de discussions sur la possibilité de convertir les événements en ligne, comme les expositions ou les spectacles, je trouve que l’attractivité reste limitée malgré des essais avec les formats digitaux. Comme évoqué, c’est un secteur qui demande des expériences physiques, d’où l’impact du Covid sur la consommation des contenus. Bien sûr que les producteurs, les organisateurs et le public essaient de faire cette conversion vers le digital, mais pour que cela devienne une nouvelle norme ancrée dans la société, je pense que le chemin est encore long.
On peut dire que la pandémie de Covid-19 est arrivée de manière plus brutale et dure plus longtemps que les autres pandémies. Cela a poussé les organisateurs comme nous à réfléchir plus sérieusement à la faisabilité de formats digitaux, ce qui n’était pas le cas lorsque les crises sanitaires étaient de courte durée. Nous avons besoin cette fois-ci de plan B ou même de plan C pour soutenir nos opérations. Mais côté public, les gens ne s’y habituent pas encore non plus. Les deux côtés tâtonnent un peu pour voir, mais sont d’accord que l’on devrait prolonger cette pratique. J’estime que, quand l’impact de la crise sanitaire diminuera, nous retournerons toujours aux anciens modèles d’expérience et de participation. L’expérience physique, son process et les émotions ressenties restent très différents d’autres formats.
Q4. Comment les activités de Mediasphere ont-elles été impactées par la pandémie ? Qu’avez-vous fait pour vous adapter à cette situation ?
Dans notre secteur à Taïwan, les hautes saisons des expositions sont les vacances d’été et d’hiver. La premier vague est arrivée début 2020 au moment où nous démarrions nos gros projets annuels. A cette époque, nous n’avons pas pu faire marche arrière – notre expo avait déjà ouvert ses portes. Nous avons dû la finir en suivant les mesures sanitaires, ce qui a beaucoup impacté le visitorat. Nous avons eu des pertes assez importantes, parce que nous n’avons pas pu prendre des mesures à l’avance face à la situation, même si nous avons quand même effectué des actions pour diminuer nos dépenses.
Cet été aurait dû être un autre temps fort pour les expos, et une autre vague est arrivée juste avant. Pourtant, cette année nous avons été un peu plus chanceux. Nous nous sommes rendu compte de la difficulté et avons décidé immédiatement de décaler la période d’expo. Les pertes ont été moins élevées, mais cette haute saison d’été était quand même perdue, que ce soit pour nos recettes ou nos contacts avec le public. Nous pouvions seulement maintenir nos opérations à bas niveau, en attendant le redémarrage de projets après le report. Entre temps, nous avons essayé d’explorer d’autres possibilités d’événements, et de profiter de cette période calme pour se demander comment convertir les projets en digital, quels sont les autres moyens d’organisation si la situation persiste.
Par ailleurs, depuis cette année nous débutons les activités de gestion d’espaces. Dans ce cadre, la restauration reste l’activité-phare, mais a été fortement impactée également cet été. Néanmoins, par rapport aux activités culturelles, le rebond de la restauration est plus rapide en raison de sa nature "nécessaire" aux yeux du public. La consommation en lien avec la restauration revient donc dans un premier temps. Par exemple, le marché du quai Dadaocheng que nous opérons est un espace à moitié en plein air. Quand le contexte sanitaire le permet, le visitorat de cet endroit rebondit plus rapidement, avec la restauration sur place et une vue sur la rivière pour les loisirs de week-end. Côté exposition, le secteur reste encore immobile. A part les activités que nous avons traditionnellement, qui sont statiques et en salle, la gestion d’espaces nous donne une base d’activités plus pérenne. Les expositions étant plus courtes et intensives pendant les vacances d’été et d’hiver, nous pouvons avoir une source de recettes et des interactions plus stables et sur le long terme pour l’entreprise.
Q5. Vous parlez de différents types d’espaces possibles pour des installations. Les formats de contenu ont-ils besoin d’être repensés ou adaptés pour ces nouveaux espaces ?
Traditionnellement, les expositions ou les événements que nous avons eus étaient tous plus grands en termes de taille, donc ils ont besoin d’espaces plus importants. Les espaces que nous gérons actuellement ont plus de contrainte de surface, par conséquent ce ne serait pas possible d’associer directement les expositions traditionnelles avec nos nouveaux espaces culturels. Pourtant, nous nous intéressons également à la restauration ou le développement de produits dérivés pour animer ces espaces, voire trouver de petits endroits pour les expos pour découvrir de nouvelles possibilités. Avec ce que nous faisons principalement, notamment l’organisation d’expositions commerciales, nous pouvons considérer des mini-expos satellites dans nos espaces culturels. Peut-être pas avec les œuvres d’art originales vu les contraintes de conservation, mais nous pouvons également mettre en avant d’autres types d’éléments, par exemple via l’affichage de produits dérivés. Dans un magasin classique, le display est une simple mise en étagère, mais nous souhaitons maintenant intégrer la notion de l’art de vivre. Il y a quelques années, au Musée national d'histoire a eu lieu une exposition spéciale sur Sanyu, un artiste chinois ayant séjourné en France. A l’occasion de cette exposition, nous avons aidé à développer une série de produits. Ayant une approche différente d’un magasin classique, nous avons transformé le magasin attaché à l’exposition en une sorte de milieu de showcase, montrant directement dans l’espace comment les produits pourraient être utilisés dans la vie quotidienne, offrant une mise en situation au public. Pour résumer, dans les espaces réutilisés, je pense que nous pouvons développer davantage les nouveaux formats d’exposition ainsi que l’intégration de la restauration, en réfléchissant aux différents moyens de mettre en avant l’esthétique culturelle.
Q6. D’après vous, quels sont les 3 critères les plus importants pour les Taïwanais lorsqu’ils doivent choisir les contenus à payer ?
Quand les gens choisissent, franchement nous pensons que le premier critère reste le prix. C’est un critère pragmatique pour les consommateurs, d’autant plus que l’offre est très importante désormais. Quand ils ne connaissent pas encore trop de détails sur une exposition, le prix entre en considération dans un premier temps. De plus, s'ils souhaitent inviter des amis ou des membres de la famille pour y aller tous ensemble, le prix est certainement un critère très important.
Un autre critère est la nouveauté. On est tous curieux de découvrir quelque chose que l’on n’a jamais vu. Quand on en a entendu parler, on a envie de le comprendre et de l’expérimenter – peut-être on l’appréciera et on pourra avoir un nouveau sujet de discussion. La nouveauté est donc un critère inévitable.
Un autre critère potentiel, est la qualité. Mediasphere opère de nombreux événements culturels et expositions depuis une vingtaine d’années. Ces dernières années, il y a bien sûr de plus en plus d’acteurs similaires ou d’associations officielles ou semi-officielles qui ont rejoint ce domaine. Le public a une base plus importante de contacts et de choix, mais la qualité de la prestation de chacun est en dent de scie. Au fur et à mesure, le public devient de plus en plus éduqué et exigeant. On a peut-être été attiré par un thème mais on s’est rendu compte, après avoir visité l’exposition, que l’expérience et la présentation de contenus n’étaient pas forcément idéales. Par conséquent, je pense que la qualité est quelque chose qui compte pour le public. Son importance s’accroit ces dernières années en raison de l’environnement du marché. Dans le passé, Internet et les réseaux sociaux n’étaient pas répandus. Si la qualité d’une exposition était mauvaise, à la limite on s’en plaignait auprès de l’organisateur et ça s’arrêtait là. Mais maintenant qu’Internet est très accessible et que les interactions sont nombreuses, une exposition pourrait être connue très rapidement par le grand public comme étant de mauvaise qualité. D’une certaine façon, ça génère un cercle vertueux qui pousse les organisateurs à ne pas négliger l’importance de la qualité, qui permet au public d’avoir de meilleurs choix. C’est une pression, mais c’est bon pour le développement. En résumé, je pense que le prix, la nouveauté et la qualité sont les trois critères prioritaires pour les Taïwanais.
Q7. Et si nous comparons l’importance de la célébrité et de la nouveauté ?
Pour Taïwan, c’est encore la célébrité. C’est un peu triste, mais ça veut dire qu’on a encore des choses à faire. Quand on va voir Le Louvre, le Musée d’Orsay, ou un artiste très connu, naturellement cela attire. Donc la célébrité reste importante. La nouveauté, c’est-à-dire des caractéristiques différentes de ce qui a déjà été fait, pose encore un certain risque pour l’organisateur en termes d’attraction. La célébrité, dans une certaine mesure, signifie une garantie de la qualité. Son importance dépasse peut-être un peu celle de la nouveauté.
Q8. Quels seraient les différents modes de collaboration entre une entreprise française et une agence sur place comme Mediasphere, afin d’amener leurs contenus à Taïwan ?
Pour Mediasphere, nos modes de collaboration sont très souples. Tant qu’il s’agit un thème que les deux côtés aiment bien, nous pouvons discuter ensemble des différentes façons de collaborer. Un mode plus commun est l’autorisation (licensing). Le fournisseur de contenus collecte les frais d’autorisation, et autorise Mediasphere à planifier et mettre en œuvre une expo localement. Un autre mode est la commission/co-investissement, qui est relativement moins commun. L’entité étrangère pourrait juger que c’est compliqué de s’impliquer dans un investissement à l’étranger en termes de chiffres et de structure, même s’il s’agit seulement d’un cas spécifique.
La plupart du temps, les modes de collaboration sous forme de prêts d’exposition et le modèle de licensing sont adoptés. Pour les thèmes que nous trouvons intéressants, nous avons pu parfois solliciter des entités pour nous aider à trouver des fournisseurs de contenus correspondant à nos intérêts, et ensuite nous voyons ensemble comment collaborer. Mediasphere amène principalement des contenus à Taïwan, mais nous avons déjà commencé à développer des ressources à l’étranger comme en Chine, et nous avons de très bons partenaires au Japon, en Corée du Sud et en Asie du Sud-Est. Nous commençons donc à dire aux entités qui travaillent avec nous que nous pouvons être un relai pour un tour d’Asie. Une entité n’a pas besoin d’aller chercher un partenaire par pays et peut être en contact avec Mediasphere pour organiser un tour d’Asie sur par exemple un an.