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Depuis plusieurs années et avec pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, l’Allemagne investit dans les énergies renouvelables et les nouvelles solutions qui se dessinent. Les transports et les différentes mobilités représentant une part importante des émissions de CO2, ce secteur est concerné par le développement de l’hydrogène comme énergie du futur. Alors, quels sont les défis portés par l’hydrogène dans la mobilité en Allemagne et où en est le pays ?
I - Financement et développement de la mobilité hydrogène
En 2007, le gouvernement fédéral allemand a mis en place le PIN (Programme national d’innovation pour la technologie de l’hydrogène et des piles à combustibles). Avec un total de 1,4 Md EUR investis, plus de 50 stations hydrogènes ont pu voir le jour et le marché allemand se prépare ainsi au développement de l’hydrogène dans la mobilité (production, intégration dans le portefeuille carburant…).
Depuis 2016, le programme PIN II a pris la relève, et ce jusqu’à 2026. L’objectif est d’amener l’hydrogène à la maturité commerciale dans les prochaines années.
Plus concrètement et en fonction des secteurs :
- Il s’agit pour les voitures d’optimiser les performances techniques pour obtenir des coûts de fabrication compétitifs, d’étendre le réseau de fournisseurs européens et de continuer l’expansion du réseau de recharge.
- Pour les bus, les coûts d’achats doivent être réduits pour atteindre 510 000 € en 2025 et d’augmenter la fiabilité des systèmes. Des incitations à l’intention des villes et des collectivités sont mises en place.
- Pour le secteur ferroviaire, l’Allemagne souhaite être capable en 2022 de maîtriser toute la chaîne de production des rames à hydrogène afin de les produire en série. Le ministère des Transports souhaite la validation rapide et l’homologation des véhicules prototypes et le développement d’infrastructures de ravitaillement afin de favoriser l’essai public.
- Pour l’aéronautique, l’objectif du PIN II est de développer des produits commercialisables. Des opérations quotidiennes ne sont pas prévues avant 2025.
A noter par ailleurs que, concernant les véhicules utilitaires, d’ici 2024, le ministère fédéral allemand en charge des transports aura mis à disposition environ 1,6 Md EUR pour promouvoir l’achat de véhicules respectueux du climat et dotés de moteurs alternatifs ainsi que 5 Mds pour le développement des infrastructures et des recharges hydrogènes pour les véhicules lourds et légers.
Les programmes PIN et PIN II s’inscrivent dans une volonté de l’Allemagne de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de protéger le climat. De nouvelles exigences contraignantes concernant les appels d’offres et les contrats s’appliqueront d’ici fin 2025 ou 2030, comme l’indique Andreas Scheuer, ministre des Transports sous le dernier gouvernement fédéral allemand. Par exemple, 38,5 % des voitures devront émettre 50 g de CO2/km au maximum d’ici fin 2025, ou 0 g à partir de fin 2026. Des quantités fixes de camions et d’autobus de transports publics devront être alimentées exclusivement par des carburants de substitution (hydrogène, biocarburants…).
En 2020, le développement de l’hydrogène en Allemagne se voit à nouveau soutenu par un grand projet du gouvernement fédéral : sa stratégie nationale pour l’hydrogène (NWS). Elle présente différentes mesures d’actions concrètes et se comprend comme un cadre général des actions publiques fédérales en matière de développement de l’hydrogène. Elle couvre l’ensemble de la chaîne de valeur (production, transport, utilisations futures de l’hydrogène, innovations et investissement correspondants).
En synthèse, la stratégie présente quatre objectifs :
- Faire des technologies hydrogène un élément clé de la transition énergétique dans les processus de production,
- Créer les conditions réglementaires nécessaires à la montée en puissance de l'hydrogène sur le marché,
- Renforcer les entreprises allemandes et leur compétitivité en accélérant la recherche et le développement ainsi que l'exportation de technologies innovantes,
- Assurer et organiser l'approvisionnement national futur en hydrogène exempt de CO2 et en produits dérivés.
Il faut aussi souligner que dans le cadre du développement de l’hydrogène, l’Allemagne s’appuie sur ses 16 Länder. Compétents sur le plan règlementaire en matière de transports, les Länder peuvent mener des actions et projets propres. Certains, comme la Basse-Saxe ou la Saxe, ont d’ailleurs fait du développement de l’hydrogène sur leur territoire l’une de leurs priorités.
De même, les actions allemandes s’inscrivent dans une perspective européenne de décarbonisation. Dans cette démarche, l’Union européenne (UE) a par exemple approuvé une nouvelle directive de financement pour les véhicules commerciaux équipés de systèmes de propulsion alternatifs.
II - La place de l’hydrogène dans les différentes mobilités
A. L’hydrogène dans le secteur aéronautique
1. Une volonté de changement du secteur
Fin 2020, l’Association fédérale de l’industrie allemande du transport aérien (BDL - Bundesverband der Deutschen Luftverkehrswirtschaft) a affirmé sa volonté de rendre neutres en émissions de CO2 les vols allemands. Selon Peter Gerber, son président : « notre objectif est le vol neutre en CO2. […] Il y a de nombreuses mesures que nous ne pouvons pas mettre tous seuls en place, et qui nécessitent un effort conjoint entre l’industrie et la politique. Nous comptons avancer et défendre ensemble cette cause ».
La crise du Covid a confirmé l’intention de l’Allemagne d’évoluer vers un modèle plus respectueux de l’environnement en faisant du pays une « plaque tournante pour les vols neutres sur le plan climatique ».
2. Initiative dans le domaine de la conception et de la production
En Allemagne, les sociétés H2Fly et Deutsche Aircraft convertissent un avion de transport commercial à l’hydrogène. Un Dornier 328 équipé d’un système à hydrogène de 1,5 MW servira de démonstration. Il devrait prendre les airs en 2025.
Les deux sociétés travaillent actuellement conjointement en R&D sur la technologie de pile à combustible à hydrogène qui alimentera l’avion. En cas de succès, la place de l’hydrogène dans les déplacements régionaux neutres en carbone pourrait devenir de plus en plus importante et privilégiée. Selon Joseph Kallo, co-fondateur de H2fly, « les piles à combustible à hydrogène nous offrent la possibilité d’éliminer complètement les émissions de carbone et de Nox de vols régionaux, et la technologie pour y parvenir est plus proche que la plupart des gens ne le pensent ».
3. Exemple de projet dans la maintenance
Cependant, si un avion a pour but de voler, il doit quand même pouvoir se poser et être accueilli au sein des aéroports. C’est dans cette optique que Lufthansa Technik, avec l’appui du Centre aérospatial allemand (DLR) et du Centre de recherche aéronautique appliquée (ZAL) installe à Hambourg une plateforme qui doit concevoir et tester les processus de maintenance au sol des avions à hydrogène liquide.
Selon Johannes Bussmann, président et directeur général de Lufthansa Technik, il est primordial de mettre en place des infrastructures aéroportuaires adéquates aux nouvelles technologies hydrogène, car celles-ci sont le « futur du transport aérien ». « Il n’y a pas d’alternative à la transformation de notre industrie vers un vol climatiquement neutre. Avec ce projet, nous pouvons relever cet énorme défi technologique, à un stade précoce, pour l’ensemble de l’industrie aéronautique de la maintenance, de la réparation et de la révision. Nous assurons ainsi activement l’avenir, car nous développons aujourd’hui le savoir-faire pour les processus de maintenance et d’accueil au sol d’après-demain » estime-t-il
Concrètement, après la mise en place stationnaire d’un AIRBUS A320 à Hambourg, celui-ci fera office de laboratoire afin que les différentes solutions puissent être testées. Avec l’appui du DLR, un environnement virtuel pour les recherches et les tests sera installé avec l’A320. Le ZAL, quant à lui, apportera ses connaissances dans le domaine des technologies des piles à combustibles et une cartographie numérique des processus.
B. L’hydrogène dans le secteur ferroviaire
L’Allemagne possède de nombreux pans de voies ferrées non électrifiés. Les trains qui y circulent consomment du diesel, émetteur de gaz à effet de serre. Le remplacement de ceux-ci par des rames à hydrogène permettrait une transition durable, dans la mesure où celui-ci serait produit de manière « verte », et plus efficace que ne le serait l’électrification des voies correspondantes. De fait, plusieurs projets émergent.
1. Plusieurs trains à hydrogène circulent ou seront bientôt en exercice
Depuis 2018, les deux premiers trains à hydrogène (Coradia iLint d’Asltom) circulent en Basse-Saxe. Si pour le moment, ils ne couvrent qu’un trajet de 120 km, la Basse-Saxe (Land du nord-ouest du pays) prévoit de mettre en place, à partir de 2022, 14 trains à hydrogène, ceci dans le cadre du plan national pour remplacer les véhicules diesel.
D’autres projets sont aussi en cours : d’ici fin 2022, la plus grande flotte à hydrogène sera lancée à Francfort-sur-le-Main et comptera 27 Coradia iLint, d’une autonomie allant jusqu’à 1 000 km par remplissage de réservoirs et vitesse maximale de 140 km/h. « Le gouvernement fédéral soutient cet investissement dans une mobilité respectueuse du climat en assumant le surcoût de 40 % par rapport aux véhicules diesel, et en soutenant la station de ravitaillement en hydrogène dans la même proportion. Ce projet peut servir de modèle pour le ministère allemand des Transports. Nous espérons que de nombreux autres projets en Allemagne suivront cet exemple » expliquait le secrétaire d’Etat parlementaire au sein du ministère fédéral des Transports, Enak Ferlemann.
Cependant, l’un des problèmes reste la production de l’hydrogène utilisé par ces trains. En effet, dans le cadre du projet de Francfort-sur-le-Main, l’hydrogène produit au parc industriel de Höchst reste « gris » et non « vert », même s’il est prévu de construire prochainement un électrolyseur afin de rétablir une balance écologique.
2. Question des normes et installations expérimentales
Mais, si l’Allemagne souhaite développer son parc ferroviaire hydrogène, de nouvelles normes doivent être élaborées. Jusqu’à présent, les autorités se sont appuyées sur des règlements techniques et des normes déjà en vigueur dans l’industrie et le secteur automobile pour évaluer la conformité et homologuer les premiers engins ferroviaires. Le développement du train à hydrogène s’accélère obligeant le bureau de certifications allemand à rédiger rapidement des normes propres au ferroviaire.
En 2024, la Deutsche Bahn devrait ouvrir une exploitation expérimentale sur la ligne Tübingen-Pforzheim avec des rames fournies par Siemens Mobility. Sa construction est programmée sur le calendrier 2021. La 1ère phase de ce processus serait l’étude théorique des normes (inter)nationales existantes qui seraient pertinentes et applicables aux véhicules à hydrogène et aux piles à combustible. La 2ème phase serait menée par TUB Rheinland Intertraffic, qui fournirait d’ici un an un projet de norme spécifique pour les systèmes de pile à hydrogène embarqués dans les véhicules ferroviaires.
C. L’hydrogène dans les transports en commun : l’exemple des bus
1. Montée en puissance des bus à hydrogène en Allemagne
Si on constate depuis 2019 une augmentation considérable du nombre de bus électriques dans les transports publics locaux en Allemagne, les bus à hydrogène sont aussi un sujet plus qu’actuel. Différentes villes et localités se tournent vers cette technologie afin de pourvoir les besoins de mobilité de leurs citoyens.
2. Deux exemples concrets : Cologne et Francfort-sur-le-Main
La ville de Cologne et la Regionalverkehr Köln (l’autorité en charge des transports de l’agglomération) ont déjà bien entamé les démarches dans le domaine. Disposant déjà de 35 exemplaires du Van Hool A330 FC H2 (belge) en service depuis 2020, 15 bus Solario Urbino (entreprise polonaise) ont été commandés pour compléter cette flotte. Ils devraient être livrés progressivement jusqu’à fin 2021. Si les 35 bus H2 étaient équipés de piles à combustible provenant du canadien Ballard, les 15 bus Solaris n’en seront pas exempts. Cependant, les piles à combustibles (PAC) utilisées pour les Solaris sont plus puissantes que celles des H2, avec une PAC de 70kw contre 60 pour les autres. A noter que ces 2 commandes ont été soutenues par des subventions fédérales et européennes.
D’ici 2030, Francfort souhaite suivre l’exemple de Cologne, en remplaçant l’ensemble de son parc de bus par des bus électriques hydrogène. Depuis le début de l’année 2021, le modèle « H2 City Gold » du constructeur Caetano (Portugal) y est testé. Ces bus ont une autonomie très importante : en effet, un plein permet de couvrir 400 km, quand les bus électriques classiques ne peuvent couvrir que 230 km.
3. Un exemple de projet de R&D innovant : Go4City
Dans une volonté de faire de l’hydrogène dans les mobilités une énergie totalement verte, la start-up ELO Mobility, le centre de recherche Fraunhofer IVI et l’entreprise HyMove se sont regroupés au sein du projet Go4 City qui entend développer un nouveau bus. Ce projet est financé par le ministre fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique. Il mettra en œuvre l’utilisation de piles à combustibles échangeables, et retraitables, permettant aussi une réduction des coûts.
- Elo Mobilitly est une start-up basée à Berlin, qui s’intéresse aux produits et solutions pour une mobilité sans émission. Ses système ELO sont pensés pour optimiser la gestion de l’énergie entre le système de pile à combustible, la batterie et la transmission, rendant la propulsion à l’hydrogène plus économe en énergie.
- Le Fraunhofer IVI est l’Institut pour systèmes de transport et d’infrastructure qui effectue des travaux de recherche appliquée sur les systèmes de conduite et d’assistance à la conduite, la conception et le prototypage de voitures, l’intégration de nouvelles sources d’énergie pour les transports.
- HyMove est une entreprise qui fabrique des systèmes de pile à combustible à hydrogène de qualité supérieure, des prolongateurs d’autonomie à pile à combustible. Ses produits se veulent extrêmement économes en énergie, avec une longue durée de vie, un intervalle de maintenance long, rentable, et une configuration flexible.
D. L’hydrogène dans l’automobile
1. Différents acteurs se regroupent autour de la question des bornes à hydrogène
Les grands noms de l’hydrogène se sont regroupés dans le consortium H2 Mobility afin de développer le réseau de bornes de recharge : une réussite car il en compte aujourd’hui 91, en faisant le deuxième mondial juste derrière le Japon. Le consortium regroupe des acteurs comme Linde, Daimler, Total, Shell, OMV, Hyundai ou encore Air Liquide en tant qu’actionnaires et il compte parmi ses membres les constructeurs BMW et Volkswagen.
D’autres projets sont également en cours pour permettre un ravitaillement simple et efficace. L’Institut Fraunhofer cherche en effet à développer un système de production compact pour permettre le ravitaillement d’une voiture à pile à combustibles. Pour se faire, elle doit d’abord se pencher sur la réalisation de l’énergie produite par électrolyse de l’eau et au stockage de l’hydrogène obtenu.
2. Certains constructeurs allemands misent sur cette technologie
C’est par exemple le cas de BMW et Audi qui considèrent l’hydrogène comme une véritable alternative aux carburants fossiles. BMW prévoit de commercialiser un modèle grand public vers 2030. Le fabricant munichois de voitures a mis au point un prototype basé sur son SUV X5. Jürgen Guldner, vice-président de BMW, a déclaré que le constructeur automobile construirait une flotte d'essai de près de 100 voitures en 2022. Audi, la marque haut de gamme du groupe Volkswagen, a, de son coté, réuni une équipe de plus de 100 mécaniciens et ingénieurs pour effectuer des recherches sur les piles à hydrogène et tester quelques prototypes.
En conclusion, et alors que l’Allemagne tend à réduire ses émissions de CO2, de nombreux projets de décarbonisation de la mobilité émergent dans le pays. Les technologies hydrogène y jouent un rôle clé et ce particulièrement dans les modes de transports lourds ou collectifs, comme dans le ferroviaire, les transports en commun ou l’aviation, offrant des opportunités aux acteurs innovants qui proposent des solutions dans le domaine.
Sources : Bureau Business France de Düsseldorf, 12/2021 ; Ministère fédéral des Transports et de l’Infrastructure numérique, 17/10/2019, 05/03/2020, 18/06/2021, 02/08/2021, www.bmvi.de ; Julien Potier, 15/06/2020, France Diplomatie ; Jean-Luc Poncin, 12/07/2021 et 20/02/2021, Adéline Adelski, 10/07/2021, Philippe Schwoerer, 18/01/2021 et 18/03/2021 et Michael Toregrossa, 09/08/2021 et 31/08/2021, H2 Mobile ; Communiqué de presse Alstom, 21/05/2019 ; Allianz Pro Schiene, 21/09/2020