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Secteur Equipements et Solutions pour l'Agriculture et l'Agroalimentaire
Thématique Réglementation et politique économique

La pression s’intensifie sur l’agriculture irlandaise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre alors que l’ONG Environmental Pillar se retire de la commission 2030 Agri-Food Strategy. Un porte-parole de Environmental Pillar, la principale coalition irlandaise de groupes environnementaux regroupant 32 ONG, a déclaré que l’alliance s’était « retirée à contrecœur » de la commission, estimant que le projet de stratégie était « terriblement insuffisant » pour relever les défis sociaux et environnementaux auxquels sont confrontés l’Irlande.

En conjonction avec les « problèmes d'aujourd'hui » tels que la réforme de la PAC [politique agricole commune] et du Brexit, il y a clairement beaucoup à considérer dans l'élaboration d'une ambition et d'une voie pour l'orientation future du secteur agroalimentaire irlandais. En effet, cette nouvelle PAC stipule que 20 à 30% des aides dites du premier pilier (aides directes allouées aux agriculteurs en fonction de leur surface cultivée) seront distribuées sous forme de primes, mais seulement aux agriculteurs engagés dans des programmes environnementaux. Les ONG environnementales auraient souhaité 40% et surtout, elles se désolent que le principe de base des aides PAC, les aides à l'hectare, ne soit pas remis en cause. On rappelle que dans la PAC actuelle, ce principe conduit à ce que 80% des aides ne profitent qu'à 20% des exploitants. Par ailleurs, il semble que rien dans la PAC actuelle ne permette d'arriver à un autre objectif, européen lui aussi : réduire de 50 % les pesticides, de 20 % l’usage des engrais de synthèse et de porter à 25 % les surfaces en agriculture biologique d’ici à 2030.

Cependant, le projet Agri-Food Strategy 2030, qui fera suite au plan Food Wise 2025 et sera bientôt publié, semble perpétuer le business model d'intensification poursuivi depuis 10 ans, plutôt que de conduire la transformation écologique dont l'agriculture irlandaise a besoin et d'assurer un avenir à tous les agriculteurs. Cette stratégie tente de manière peu convaincante de faire de l'Irlande un leader mondial dans la production d'aliments durables, tout en continuant à dépendre excessivement de l'agriculture basée sur les ruminants pour l'exportation de viande et de produits laitiers. Ces deux ambitions, a priori contradictoires, semblent difficiles à réconcilier dans un projet d'agriculture plus verte.

Karen Cielsielski, la coordinatrice de Environmental Pillar et ancienne représentante au comité de la stratégie Agri-Food 2030, est en forte contradiction avec ce nouveau modèle qui, selon elle, échoue sur de nombreux fronts, et refuse de faire figurer le nom de l’ONG derrière la perpétuation des crises environnementales qui ont été maintes et maintes fois mises en avant. Selon elle, il appartient maintenant au gouvernement d'assumer l'entière responsabilité de la politique agricole pour changer radicalement de cap pour réduire à la fois les émissions, la pollution dans le secteur et pour soutenir les agriculteurs dans une transition juste qui soutient également la biodiversité. De plus, Dr Elaine McGoff, responsable de l'environnement du groupe An Taisce, a dénoncé cette stratégie comme du « greenwashing, de beaux mots sur une page ».

Cette nouvelle stratégie menée par l'industrie ne répond pas à l’urgence du moment et les mesures potentielles en faisant partie, ne reflètent pas le Green Deal de l'UE, y compris sa stratégie de l'UE "farm to fork" ou encore sa stratégie en matière de biodiversité.

Depuis que l’Irlande n’a plus été soumise à des quotas laitiers en 2015, la production laitière a explosé, poussée par les politiques gouvernementales qui ont voulu voir le secteur progresser en volume et en valeur, en relayant les effets sur l’environnement au second plan. On observe aujourd’hui que le système laitier arrive à un plateau, la production pouvant encore s’intensifier mais en ayant des effets désastreux. L'agriculture est la principale source d'émissions de gaz à effet de serre dans le pays, représentant 37,7% des émissions totales. Cette intensification de la production laitière a été clairement identifiée comme le principal moteur de l'augmentation de la pollution de l'eau, de la perte de biodiversité et de l'augmentation rapide des émissions de GES et d'ammoniac, violant les limites de l'UE et l'alignement de l'Accord de Paris convenu par l'Irlande. En outre, l'intensification a entraîné le déclin catastrophique de certaines populations d’animaux, sans signe de rétablissement de la population.

Les agriculteurs de leurs côtés, se sont montrés déçus par les stratégies agricoles passées, avec moins de 20% des producteurs pensant que le Food Wise 2025 était en mesure de concrétiser la vision d’une industrie prospère.

Selon ses opposants, les engagements du projet Agri-Food 2030 sont vagues et manquent d'approche concrète pour atteindre les objectifs climatiques et autres objectifs environnementaux. Le ministère de l'Agriculture lui-même aurait déjà reconnu qu'il devait être révisé en raison d'engagements plus ambitieux dans le Programme pour le gouvernement. La situation semble si désastreuse qu'An Taisce a déposé une plainte officielle auprès de la Commission européenne sur les échecs du gouvernement irlandais à surveiller et à remédier aux dommages environnementaux résultant de l'actuel stratégie Food Wise 2025.

Environmental Pillar se dit également consterné de ne trouver aucune vision ou proposition cohérente du ministère de l'Agriculture en faveur de l'agroforesterie pour remplacer le modèle non durable actuel, ou tout du moins un schéma directeur protégeant les petits agriculteurs, respectant les obligations climatiques et restaurant l’environnement naturel appauvri. L’ONG devrait publier une stratégie alternative dans les prochains jours. Cette nouvelle feuille de route devrait inclure des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’ammoniac. De nombreuses mesures devraient concerner les agriculteurs, et notamment les éleveurs bovins.

Dairy Industry Ireland et l’Irish Farmers’ Association ont déploré la sortie soudaine de Environnemental Pillar, tandis que l’ICSA a déclaré que leur stratégie ne sera pas acceptable « à moins que la viabilité des agriculteurs ne soit mise au premier plan ».

Sources : 25 février, Environmental Pillar – Kathleen O'Sullivan, 25 février, Agriland - Catherine Lascurettes, Cul Dara Consultancy - Marie Viennot, 20 février, France Culture – Business France