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C’est durant la seconde moitié du XIXème siècle qu’apparaissent les premières stations de ski suisses comme Saint-Moritz ou Davos. Depuis, la Suisse n’a cessé de profiter de son avantage géographique pour devenir l’un des emblèmes des sports d’hiver. En effet, de nos jours, les Alpes constituent plus de 40 % de la fréquentation mondiale dans le domaine du ski et si elle se place loin derrière les Etats-Unis, la France ou l’Autriche en termes de journée-skieurs (23 M en moyenne contre plus de 53 M) la République helvétique se caractérise par le 2ème ratio de journées-skieurs par habitant au monde (1,5). Elle se classe ici derrière l’Autriche (2,0), devant la Suède et la Norvège (0,8) et loin devant la France (0,4) ou les Etats-Unis (0,2). La Suisse arrive également 6ème mondiale en termes de nombre de stations (90) et 3ème en termes de densité avec plus de 2 stations par millier de km². Elle compte aussi 6 des 50 stations dites « majeures » (affichant au moins 1 M de journées-skieurs par saison hivernale) dans le monde : Zermatt, Arosa Lenzerheide, Adelboden-Lenk, Davos-Klosters, Verbier et St Moritz. La Suisse est aussi reconnue mondialement pour ses infrastructures de sports d’hiver. Alors que l’organisation des Jeux Olympiques d’Hiver en Suisse date d’il y a plus de 60 ans (Saint Moritz en 1928 et 1948), le pays a ainsi accueilli les Jeux Olympiques d’hiver de la Jeunesse (JOJ) à Lausanne en 2020 et le championnat du monde de ski alpin en 2017. Mais, malgré ces atouts, le ski alpin qui figure aujourd’hui parmi le top 5 des sports pratiqués par les Suisses (35 % d’entre eux le pratiquent), connait un certain déclin depuis plusieurs décennies. D’où l’intérêt d’analyser plus en détail les évolutions du secteur, d’observer les premières conséquences de la pandémie Covid-19 et d’envisager des pistes d’avenir.
1. Etat des lieux pré-pandémie : un secteur qui évoluait en termes de pratique et d’usages et qui retrouvait de la croissance
1.1. Clientèle, pratique et budget au service de la location ponctuelle de matériel
Les stations de ski suisses sont fréquentées à deux tiers par les Suisses eux-mêmes. Si le secteur reste ouvert aux visiteurs internationaux, on note que leur part se réduit (50 % des hôtes des remontées mécaniques en 2013/2014, 37 % en 2015/2016, 30,1 % en 2019/2020). A titre informatif, les pratiquants étrangers sont principalement européens : allemands (10,2 %), originaires du Royaume-Uni (4,1 %), français (3,5 %), néerlandais (2,8 %), belges (2,3 %) et italiens (1,3 %). Selon les Remontées Mécaniques Suisses, « les États-Unis, la Russie et l’Australie constituaient les principaux marchés éloignés des domaines skiables suisses (2,4 %). Les touristes d’Asie (Chine, Japon, Asie du Sud-Est, Inde) et des pays arabes ont été quelque peu plus nombreux (1,3 %) en hiver 2019/20 que la saison précédente ». Or, le caractère international de la clientèle a un impact direct sur la distribution de matériel et d’articles liés au ski : elle favorise les systèmes de location par rapport à la vente B2C. En effet, en 2017, près de 100 % des hôtes étrangers louaient leurs skis contre environ 50 % des Suisses d’après Boris Bossi, alors CEO de Rentaski AG.
Concernant la clientèle suisse, on note que les pratiquants de sports d’hiver ont en moyenne entre 41 et 51 ans (hormis pour le snowboard : 31 ans). La répartition en termes de genre est assez équilibrée, quoique les hommes soient légèrement plus représentés dans la plupart des catégories : leur part évolue entre 60 % (snowboard) et 50 % (ski de fond). La luge et le bob sont eux en plus grande partie pratiqués par des femmes (63 % des adeptes). En moyenne, les Suisses skient 8 jours par an, contre 6 pour le ski de fond et le snowboard (hors randonnée), 5 pour la randonnée en skis, snowboards ou raquettes et 2 pour la luge et le bob. Comme dans la plupart des sports pratiqués par les Suisses, on observe une baisse de la fréquence de la pratique (10 jours en 2008 contre 8 en 2014 et 2020) qui joue aussi en faveur de la location ponctuelle de matériel plutôt que de la vente B2C.
En outre, on note que la clientèle des sports d’hiver pratiqués en Suisse est prête à dépenser plus que dans d’autres pays alpins. En effet, durant la saison 2019/2020, la pratique des sports d’hiver revenait environ 30 % plus cher en Suisse qu’en Autriche ou en France. En moyenne, durant la saison 2019/2020, le prix moyen d’un forfait journée adulte plein tarif dans les 10 premières stations suisses coutait 77,96 CHF (environ 70,55 EUR) contre 60,05 CHF en Autriche (54,34 EUR), 58,76 CHF en France (53,17 EUR) et 62,33 CHF en Italie (56,40 EUR). Si en moyenne les Suisses dépensent 2 à 3 % de leur revenu annuel pour la pratique du sport (environ 2 000 CHF, 1 815 EUR), ils sont prêts à dépenser une part importante de leur budget pour des occasions spécifiques comme des séjours aux sports d’hiver. Ceci se retrouve également au niveau du matériel ciblé : les Suisses recherchent des produits innovants, à forte valeur ajoutée et des offres de qualité en termes de produits mais aussi de services. Là encore, la location ponctuelle peut se voir favorisée par rapport à l’achat, le consommateur cherchant à tester les dernières nouveautés plutôt qu’à investir durablement dans une paire de skis.
1. 2. Géographie des sports d’hiver : la Suisse alémanique plus à même de fournir des débouchés ?
Le secteur est particulièrement développé dans les cantons du Valais (canton du sud du pays qui abrite notamment la station de Zermatt : 34 % de la fréquentation en 2019/2020), des Grisons (Saint Moritz, Davos, entre autres : 30 % de la fréquentation), de Berne et de la Suisse centrale (tous deux situés en Suisse allemande : respectivement 15 % et 9 %). Cette dernière est aussi le seul canton qui, avant la pandémie, enregistrait une hausse de sa fréquentation par rapport à la saison hivernale 2005/2006 : +10 % en 2018/2019. Quoique bien moins équipées que ces cantons qui cumulaient à eux seuls 78 % du volume d’activité des stations durant la saison 2018/2019, la Suisse orientale (6 %) et les Alpes vaudoises et fribourgeoises (5 %) restent des lieux importants des sports d’hiver : elles cumulaient près d’une installation sur cinq des 2 433 installations du pays en 2019.
Ces zones sont aussi des hauts lieux de la distribution des articles et matériels liés aux sports d’hiver, comptant des réseaux locaux spécialisés bien connus des Suisses. On peut aussi noter que les Suisses alémaniques, plus sportifs, dépensent en moyenne plus (2 101 CHF, 1 907 EUR) que les habitants de Suisse romande (1 513 CHF, 1 372 EUR) ou italophone (1 587 CHF, 1 440 EUR) dans l’achat d’équipements et d’articles de sport.
1. 3. Après un certain déclin, les dernières saisons pré-pandémie marquaient un intérêt renouvelé des Suisses pour la pratique du ski et une certaine confiance des acteurs du secteur
Si on observe un déclin des fréquentations hivernales dans les stations suisses sur les premières années de la décennie 2010, les saisons 2017/2018 et 2018/2019 montraient une hausse de l’intérêt pour le ski en Suisse. Durant la saison hivernale 2008/2009, on dénombrait 29,3 M de journées-skieurs, alors que ce chiffre atteignait 21,2 M durant la saison 2016/2017, soit près d’un tiers de moins. Toutefois, les deux dernières saisons avant le début de la pandémie de Covid-19 montraient un intérêt renouvelé pour la pratique. Les saisons 2017/2018 et 2018/2019 enregistrent en effet une nette augmentation du nombre de journées-skieurs qui culminait à 24,9 M.
Ces évolutions se reflètent aussi sur la vente d’articles et matériels. Ainsi les ventes de skis ont baissé en 30 ans de près de 60 %. Mais elles remontaient avant la pandémie, passant de 185 000 paires vendues durant la saison 2016/2017 à 191 000 durant la saison 2017/2018 (contre 500 000 en 1986). Si la baisse notable de la fréquentation des stations de ski suisses s’explique en partie par des évolutions structurelles, comme la baisse de l’intérêt de la jeunesse suisse pour ce sport, des facteurs conjoncturels, et notamment une météo capricieuse certaines saisons, sont aussi à prendre en compte. De même, un intérêt accru pour la location explique en partie la baisse des ventes de skis.
De même, faisant preuve d’une certaine confiance en la croissance du secteur, les acteurs du marché des sports d’hiver investissaient avant la pandémie Covid-19. A titre d’exemple, durant la saison 2018/2019, les investissements des 20 plus grandes sociétés suisses de remontées mécaniques ont atteint 272 M CHF (environ 245,4 M EUR), soit 100 M CHF de plus (90,3 M EUR) que la saison précédente. Au total, le CA total de la branche atteignait 1,5 Md CHF (environ 1,35 Md EUR) sur les saisons d’hiver 2018/2019 et d’été 2019, les trois quarts de ce CA étant directement imputables à la saison hivernale. Le fabricant de ski Stöckli, indépendant depuis sa création il y 85 ans, indiquait début 2020 avoir investi 8 M CHF (environ 7,26 M EUR) dans sa manufacture de skis. Pour une entreprise au CA de 60 M CHF (environ 54,43 M EUR), ce montant est significatif de la confiance en l’avenir du secteur. Le fabricant lucernois vendait alors 60 000 paires de ski par an et, fort d’une croissance annuelle moyenne de 11 % au cours des cinq dernières années pré-pandémie, il visait un objectif annuel de 75 000 paires. On a aussi vu l’arrivée de nouvelles marques sur le marché des fabricants de ski à l’exemple de Mach, dont les skis premium se trouvent dans le commerce depuis 2016.
2. La pandémie Covid-19 est venue durement impacter un secteur dont l’activité reprenait après plusieurs années de perte de vitesse
Les stations ayant dû fermer plus tôt des suites des restrictions sanitaires, la pandémie a eu un impact non négligeable sur la saison hivernale 2019/2020. « Les domaines skiables helvétiques ont enregistré un peu plus de 20 M de journées-skieurs (premiers passages par personne et par jour en hiver) - un chiffre en baisse de près de 20 % par rapport à la saison précédente, imputé à l’arrêt prématuré de la saison en raison de la pandémie, et au faible enneigement » souligne Pauline Turuban, journaliste pour Swissinfo. L’association des Remontées Mécaniques suisses (RMS) révèle une baisse de 12 % du produit de transports des personnes sur l’hiver 2019/20. La fréquentation comptabilisée en termes de nuitées a chuté de 22,6 % pour les clients étrangers contre 15,2 % pour les clients suisses. Le nombre de visiteurs asiatiques a particulièrement chuté. RMS indique -44,1 % des nuitées de touristes chinois et - 39,7 % pour les touristes originaires de Corée du Sud dans les hôtels et établissements de cure des Grisons, du Valais et de l’Oberland bernois. Concernant les touristes européens, les baisses de fréquentation ont été particulièrement importantes pour les touristes allemands (-21,3 %) et du Royaume-Uni (-24,8 %) qui restent toutefois les principaux touristes étrangers avec respectivement 602 824 et 259 901 nuitées. En comparaison, les touristes originaires des Etats-Unis (3ème groupe de touristes étrangers, 154 631 nuitées), de Russie ou des Pays-Bas ont été moins impactés, leurs fréquentations baissant d’environ 12 %.
Pour la saison hivernale 2020/2021, la Suisse a décidé de laisser ses stations ouvertes, mais les fermetures de commerces dits « non-essentiels » mi-janvier ainsi que le renforcement des restrictions d’entrée sur le territoire et la fermeture des restaurants ont eu un impact significatif. Par rapport à l’an passé les chiffres cumulés jusqu’à la fin février montrent une baisse du CA du transport de voyageurs de 24,3 % et une diminution des premiers passages de 20,7 %. Il convient de souligner que les pays limitrophes de la Suisse ont pour la plupart choisis de fermer leurs stations d’hiver ou bien de privilégier une saison « locale » avec de fortes restrictions sanitaires comme l’a fait l’Autriche.
Alors que 40 à 60 % du CA lié aux ventes d’articles de sport est enregistré en hiver, la pandémie a aussi largement impacté les ventes d’articles et d’équipements liés aux sports d’hiver. Le segment ski alpin est le 2ème segment le plus impacté après celui des sports d’équipes. 48 % des acteurs enregistrent des baisses de CA supérieures à 20 % en 2020 et 2021 par rapport à la période précédant la pandémie, 22 % évaluent leurs baisses entre -5 % et -20 %, 13 % considèrent leur CA stable (entre -5 % et +5 %). Les commerces situés en montagne sont aussi plus impactés, enregistrant des baisses des ventes de -16 % en 2020 contre -11 % pour les commerces situés en plaines. Pour 2021, la fédération des magasins d’articles de sports prévoit des chutes respectives de -31 % et -21 %.
3. Pistes de réflexion pour l’avenir : des opportunités pour les exportateurs proposant des produits innovants et une offre de qualité en termes de produits et de services
Friands d’innovation et de technologies de pointe, les Suisses cherchent à tester de nouveaux produits que ce soit au travers de la location (de plus en plus importante) ou par l’achat régulier de matériel. En moyenne, ils achètent tous les 4 à 5 ans une nouvelle paire de skis. On note aussi une recherche affirmée d’exclusivité et de produits et matériaux prémium à l’exemple des skis en bois. D’après Jürg Stettler de l’Institut pour l’économie du tourisme de la Haute-Ecole de Lucerne, « le ski comme sport de masse disparaît et devient un produit premium destiné à une minorité ». Si l’on retrouve, logiquement, des marques suisses sur ces positionnements (Mach, Molitor, Timbaer, Early Bird, Nidecker, Movement, notamment) des opportunités restent à saisir. En effet, seule une paire sur cinq vendues en Suisse est Swiss Made. Mais, pour faire face à ces acteurs que les consommateurs suisses aiment privilégier dans une forme de consommation protectionniste, les concurrents devront répondre aux exigences de « qualité, précision, fiabilité, exclusivité et valeur ajoutée » portées par le Swiss Made.
Par ailleurs, certains segments des sports d’hiver semblent plus prometteurs que d’autres. Ainsi, alors que la pratique du ski et du snowboard (hors randonnées) reste relativement stable au sein de la population suisse (respectivement -0,5 et +0,3 points de pourcentage entre 2014 et 2020), le ski de fond, l’alpinisme/l’escalade, la luge/le bob et la randonnée à ski, snowboard ou raquettes gagnent progressivement en attrait. Ces sports enregistrent respectivement +1,2 %, +1,3 %, 2,5 % et 2,6 %. On remarque aussi que les articles de sports d’hiver dits « nordiques » sont bien plus faiblement impactés par la crise que les articles relatifs aux sports d’hiver « alpins ». Ainsi, l’association représentative des magasins d’articles de sport annonce des premiers bilans plutôt positifs : 16 % des acteurs se considèrent stables, 33 % jugent le marché en légère hausse (entre +5 % et +20 %), 29 % en forte hausse (plus de +20 %).
Enfin, en termes de distribution, quoique les Suisses restent attachés aux magasins spécialisés et notamment aux réseaux de distribution locaux on note une progression de la vente en ligne d’articles de sport (tout secteur confondus) proportionnellement plus importante que pour la plupart des autres articles du retail et ceci avant et pendant la crise sanitaire : 13 % des ventes d’articles de sport s’effectuaient en ligne en 2018, 16 % en 2019 et 26 % en 2020.
En conclusion, si le secteur suisse du ski et des sports d’hiver a été durement touché par la crise sanitaire, la Suisse devrait au sortir de la crise pouvoir compter sur une clientèle prête à dépenser plus que dans d’autres pays alpins, une confiance des acteurs marquée avant la crise et un regain d’attractivité des sports d’hivers pré-pandémie. L’attrait des Suisses pour certains segments ainsi que la recherche de produits innovants et à forte valeur ajoutée ouvre aussi de nouvelles pistes de réflexion aux acteurs souhaitant se positionner sur ce marché.
Sources : Remontées Mécaniques Suisses, 10/2020, 12/2020 et 02/2021 ; Pauline Turuban, 17/12/2020, Swissinfo ; Office fédéral du sport OFSPO, 2020, 2017, 2014 et 2008, www.baspo.admin.ch ; site web du Comité Olympique, visité le 15/03/2020 ; Hanser Consulting AG, 02/2021, www.sportbiz.ch ; GfK, 10/03/2021, www.sportbiz.ch ; Nicolas Saameli/Oliver Roscher, 09/02/2017, SRF ; Jasmin Krähenbühl, 02/10/2016, Schweiz am Sonntag ; Bureau Business France de Zürich